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Chris Killip au BAL : « This is England  (this is me) »

Chris Killip au BAL : « This is England (this is me) »

19 June 2012 | PAR Raphael Clairefond

Lumière laiteuse perçant péniblement un ciel bas, façades noircies par la pollution, paysage industriel en décomposition, visages marqués par les années de labeur… L’Angleterre des années 70, un environnement qui se prêtait idéalement au noir et blanc rigoureux de Chris Killip. Une rétrospective captivante de son travail étalé sur vingt ans est à découvrir en ce moment au BAL dans le cadre d’un programme consacré aux grandes figures de la photo et du cinéma britannique, en attendant l’exposition de Paul Graham à l’automne.

Photographe britannique majeur de ces dernières décennies, il fut marqué à ses débuts par l’influence des pionniers américains de la photo documentaire américaine (Paul Strand, Walker Evans), et ça se voit. La série assez classique qui ouvre l’expo, réalisée sur l’île de Man où il a grandi, alterne paysages austères et épurés avec des portraits d’hommes et de femmes que la vie ne semble pas avoir épargné. Le ton est donné : pas de contrastes trop marqués, empathie totale avec ses sujets, mines fermées, sentiment d’attente et d’inertie trompeurs. Ses photos portent le témoignage d’un monde et d’une culture populaire menacée par le nouveau statut de paradis fiscal accordé à l’île.

On découvre ensuite des portraits de groupes plus vivants : Killip couvre ici, des célébrations royales, là une grève de mineurs, et se rapproche alors du photo-reportage de presse. On notera un triptyque impressionnant d’une petite ville littoral vivant de son chantier naval. Chaque photo prise à la même échelle à quelques années d’intervalle, dresse le constat glacial d’une ville et d’une économie progressivement laissées à l’abandon, jusqu’à la destruction pure et simple du quartier. Dans un coin, un slogan anarchiste apparaît sur un mur, appelant à ne pas voter et à se préparer pour la révolution. Mais on sait que la tendre Margaret Thatcher aura laissé peu de place à de si hautes ambitions.

Le gros morceau de l’exposition reste les images tirées de son livre phare : In Flagrante (de l’expression latine pour « en flagrant délit ». Killip s’immerge au sein de petites communautés du nord de l’Angleterre, à mi-chemin entre photo documentaire et subjectivité assumée. Ouvriers en congés, jeunes sniffeurs de colle ou punks en furie… Les corps sont toujours figés, dans l’attente ou le délassement, diverses formes de lâcher-prise dans une temporalité flottante, tandis que les compositions se font plus élaborées. Il joue tantôt sur la dynamique des lignes d’horizon du littoral pour évoquer la possibilité d’un ailleurs, tantôt sur les murs de brique et les cadrages serrés qui condensent et enferment l’énergie tendue de la jeunesse.

Le photographe insiste sur la dimension intime de son travail, refusant de réduire sa démarche à la documentation de « l’histoire objective de l’Angleterre » qui ne « signifie pas grand chose » pour lui. Et de fait, toutes ces photos prises en bord de mer (les enfants notamment) font certainement écho à sa propre enfance, de même que ces figures qui ont l’air d’attendre on ne sait quoi, renvoient inévitablement à l’attente du photographe guettant patiemment l’instant décisif, dont la formule « In Flagrante » pourrait bien n’être qu’une simple variante.
En brossant le portrait d’une époque et d’un pays, Chris Killip a peut-être bien produit l’un des plus émouvants auto-portraits de l’histoire de la photographie moderne.

 

 

Visuel : (c) Chris Killip, autorisation BAL

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Raphael Clairefond

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