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Au CAPC de Bordeaux, deux expositions interrogent avec brio notre rapport au monde

Au CAPC de Bordeaux, deux expositions interrogent avec brio notre rapport au monde

05 November 2020 | PAR Maëlle Polsinelli

Au CAPC, Musée d’arts contemporains de Bordeaux, deux expositions – celle de Samara Scott, The Doldrums et celle de Irma Blank, Blank – interrogeaient cet automne notre rapport au monde ; à la consommation, au langage, et plus précisément à notre être dans le langage.

Attention : Les expositions ont ouvert du 18 septembre au 30 octobre. Comme toutes les institutions culturelles, le CAPC est actuellement fermé  au public pendant le confinement. L’exposition The Doldrums reprendra après le confinement jusqu’au 3 janvier 2021. 

Les débris réflexifs  de Samara Scott

La première est une exposition in situ : Samara Scott a réalisé un immense plafond artificiel qui investit la nef du CAPC. Artificiel, certes, mais les objets suspendus sur ce plafond sont justement là pour questionner notre rapport à la consommation, au naturel que l’on délaisse pour le superficiel qui décrépit non pas sous, mais au-dessus de nos yeux, puisqu’en hauteur. Les objets qui gisent sur ce plafond de 1 000m2 sont des débris du quotidien : des tartines de pain en décomposition, des vêtements, du plastique. Tous ont été colorés par l’artiste. Paradoxalement, donc, les déchets retrouvent un éclat. Embellir ce qui n’est que laideur – la consommation effrénée, le gaspillage – tel est le pari de Samara Scott. Vue d’en bas, le plafond ressemble à une fresque sur laquelle auraient été projetés des éclats de peinture ; vivante, ensoleillée. Vue d’en haut, depuis la mezzanine – puisque la force de cette exposition réside justement dans le fait qu’elle puisse être contemplée du dessous et du dessus – la réalité se dévoile. Impossible de fuir, donc, la violence du monde moderne que Samara Scott vise à dénoncer. Au contraire, le décalage entre ce qui ressemble à une peinture géante de Jackson Pollock, à la fois innocente et puissante, et l’étalage de nos déchets, donne encore plus de force à ce qui est dénoncé. 

Irma Blank, ou la radicalité du langage. 

Au rez-de-chaussée, étage depuis lequel on contemple le plafond, s’est cachée jusqu’au 31 octobre une autre exposition : Blank, de l’artiste Irma Blank. Née en Allemagne en 1934 dont elle apprendra la langue dès la petite enfance, Irma Blank s’installe en Sicile en 1955. Dès son arrivée en Italie, l’artiste éprouve avec force la sensation de déracinement, à la fois culturel et linguistique, qui va imprégner son travail pendant de longues années. La transmission, le langage, et l’écriture sont donc au cœur de cette retrospective Blank. Dès l’entrée est exposée sa série de Transcrizioni (1973-1979) : des morceaux de journaux dont elle faisait la lecture qui sont retranscrits à l’aide d’une écriture asémantique. Seule la forme des mots lus, leur texture, leur allure, est reproduite – comme s’il s’agissait d’un braille – sans aucun contenu linguistique. Les mots ont d’abord une esthétique avant d’avoir un sens, nous dit-on. Plus loin, une série de Radical Writings retient notre attention : des traits de stylo bleu (dont la couleur ne variera pas au fil des œuvres) sont tracés, indexés à la durée de sa respiration. Des haut-parleurs diffusent son souffle, qu’elle a enregistré pour réaliser ces tableaux. Nous sommes pris dans ce tourbillon de sens, qui évoque, en même temps que ces inspirations et expirations, le geste qui l’accompagne et que nous nous figurons. Ces Radical Writings sont des tableaux ou dessins sur carton qui parfois, tant les traits de bleu sont serrés, nous rappellent la profondeur des monochromes Klein.

“Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne” disait Derrida 

Dans une troisième série intitulée Global Writings qui fût sa plus longue (2000-2016) – et qui est sans doute la plus émouvante car personnelle – Irma Blank développe une « écriture universelle ». A l’aide d’un alphabet créé de toutes pièces, composé de huit consonnes, l’artiste compose tantôt des dessins, tantôt des écrits dactylographiés et superposés sur toile ou aluminium. Les consonnes se confondent en se superposant, deviennent illisibles. Cette série dit, il nous semble, la difficulté de parvenir à un langage universel qui serait fait de mots. Elle dit aussi, sans aucun doute, la douleur de ne pas pouvoir exprimer son être-dans-la-langue, cher à Derrida, dans n’importe quelle langue.

Au CAPC de Bordeaux, ces deux expositions interrogent notre rapport au monde, à la fois intime et universel, à travers des créations singulières, engagées et engageantes. A voir, donc. 

Crédit visuel : © CAPC Bordeaux 

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Maëlle Polsinelli

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