Antidote fiction, une exposition collective, des récits, remèdes aux bouleversements
Dans le cadre de « Esch capitale européenne de la culture », Nathalie Noé Adam, artiste originaire du Luxembourg propose, depuis le 14 avril, l’exposition collective Antidote fiction. Son attention au territoire en transformation et sa pensée d’un futur incertain l’amène à envisager d’autres possibles. Dans les centres d’art Nei Liicht et Dominique Lang, à Dudelange, arts plastiques et arts vivants se côtoient. Les artistes, dont certains font partie du collectif Bombyx opèrent des va-et-vient entre les lieux et les temporalités.
« Le rôle d’un artiste est d’essayer de proposer une vision très personnelle du monde et d’approfondir au maximum son idée. S’il réussit à proposer une vision différente des autres alors l’échappée est possible chez le spectateur. » me confie Nathalie Noé Adam, dont le travail plastique se nourrit également de ses expériences de scénographe. Elle offre aux artistes la possibilité d’investir pleinement un espace et réunit leurs œuvres au sein d’une salle dans la galerie Nei Liicht.
Certaines œuvres font référence à des histoires locales, d’autres émanent de réflexions sur les techniques tandis que d’autres encore, nous amènent à nous interroger sur les transformations que subissent certains territoires. Les crises que nous traversons incitent à trouver un espace où s’échapper pour se préserver. Même si nous gardons les yeux ouverts, l’expérience esthétique permet l’évasion.
Dans l’installation Une fin certaine, Nathalie Noé Adam établit un parallèle entre un film d’archive et une vidéo réalisée avec un Iphone, l’un présentant un effondrement d’une usine, l’autre une mue d’une cigale que l’artiste a recueillie. Deux mondes seraient-ils amenés à disparaître ? Ne vit-on pas la période de la « chute des civilisations » telle est l’interrogation de l’artiste. Ne faudrait-il pas inventer la suite d’une histoire afin d’apprendre à s’arrêter pour observer les êtres vivants humains et non-humains ? La cigale, pour elle est « la survivante après la chute de notre civilisation industrielle ». Une certaine énergie émane de son installation Antidote la renaissance. Nuage noir, matrice tetrapak et Nuage blanc, impression sur papier Arches, présentent des flux, une atmosphère vaporeuse, qui témoignent d’une disparition ou d’un renouveau à venir. Par la technique de la gravure, l’artiste fait émerger des formes nouvelles. Les ailes de la cigale, multipliées et associées créée un être, dont le corps se déploie. La couleur jaune, qui apparaît récemment dans les travaux de l’artiste, annonce une lumière, indicatrice d’un possible espoir, d’une lueur du soleil. L’insecte, être archaïque, survivra : promesse ou signe d’un retour à la terre ?
Ne serait-ce pas cet insecte qui nous guiderait vers l’installation Bug Report de Keita Mori ? L’artiste a investi une salle du centre d’art Nei Liicht à partir de fils de soie colorés. Son installation donne à voir une architecture, une ville possible, entre passé et futur. Nous suivons du regard les lignes qui structurent une silhouette d’une nouvelle cité. Le fil est pour lui outil d’un dessin qu’il fait naître au fur et à mesure ; des formes apparaissent sans esquisse préalable et indiquent des chemins à suivre. Les plus curieux verront les autres dessins de fils, tels des fragments, poursuite de son cheminement, à la galerie Dominique Lang…
La performance de Claire Thill déroute quelque peu… Son installation compose un monde étrange. Pour autant, elle est fondée sur une collecte d’histoires recueillies auprès de la population du Minett, ancien bassin minier de la région des Terres Rouges au Luxembourg. L’œuvre in process prend forme au fur et à mesure durant des ateliers. Une seconde performance clôturera le travail de l’artiste.
Une seule note, le documentaire fiction d’Agathe Simon joue lui sur la frontière ténue entre réalité et récit fictionnel : un hommage est rendu à deux premières femmes qui furent accueillies en 1953 à l’Harmonie municipale de Dudelange. L’histoire de la commune de Dudelange transparaît à travers un défilé musical scandé par des images d’archives.
Au rez-de-chaussée de l’ancienne gare de Dudelange, Pascale Noé Adam, met en scène la colère qui se transmet d’une génération d’une femme à une autre. Certains y verront des connivences avec leur propre mémoire tandis que d’autres seront aussi marqués par l’humour de sa performance, mêlant le français et l’italien. Une série de photographies montre deux femmes qui partagent une histoire familiale. Du mobilier, des objets, peuvent être perçus comme les témoins d’une époque pas si lointaine, les années 80… Un indice de ces années est aussi présent dans l’installation Golden Voyageur de Claire Thill. Aujourd’hui, de quelle manière nos revendications sont-elles entendues et quelle place laissons-nous à l’expression de nos craintes ? telles sont les questions qui surgissent avec du recul. L’écoute des histoires des anciens permet d’appréhender le monde actuel.
Ce retour vers le passé et la figure féminine apparaît également dans les travaux d’Olga Karpinsky. Au centre d’art Dominique Lang, l’artiste présente un ensemble d’œuvres en revisitant l’évolution des techniques et les relations entre 2D et 3D. À partir d’une sculpture d’une statuette en bronze, elle conçoit un ensemble de gravures qu’elle nomme Matrice. Nous pouvons reconnaître des figures préhistoriques alors que l’artiste a utilisé des logiciels pour faire surgir des formes aux lignes issues de logiciels de modélisation. D’une miniature, émergent des représentations presque cartographiques. Une nouvelle archéologie se révèle… au spectateur de tenter de résoudre l’énigme.
Dans une salle noire, nous sommes conviés à un autre voyage…. L’installation photographique Lunas Blancas, Noches Lllenas d’Edwin Cuervo nous plonge dans une atmosphère nocturne dans laquelle nous devons prendre le temps d’adapter notre regard. Nous pouvons revivre l’expérience de la pénombre durant laquelle les photographies ont été prises. Les images, proches du dessin ou de la peinture, renvoient la lumière. Les carrières du massif de la Nerthe, aux portes de la ville de Marseille apparaissent telles des paysages quasi lunaires. Edwin s’investit au sein du collectif La Déviation dans un bâtiment industriel en contre bas de ces carrières. Il interroge l’instabilité de certains sites industriels en constantes transformations… Propices à l’évasion, ses photographies, ainsi mises en scène, nous invitent à nous projeter comme aventurier des lieux et à apprécier de laisser venir d’autres images. Une photographie est présente à la galerie Nei Liicht, comme un indice, en réponse à cette installation.
Ainsi, l’exposition nous invite à nous interroger sur ce qui reste des mémoires collectives. Elle nous engage à plonger dans des mondes fictifs pendant un moment, à nous évader pour ensuite redécouvrir la réalité avec un regard plus attentif. Antidote fiction révèle des démarches d’artistes attentifs à leur environnement proche, à des questions de société. Les artistes s’impliquent sur le terrain, ils deviennent conteurs, mettent en lumière des récits tout en nous incitant à ouvrir nos yeux sur le monde. Ils nous convient à ralentir notre rythme pour regarder ce qui nous est proche et penser à l’avenir de notre planète. Dans les deux galeries, des aller-retour temporels nous conduisent à faire un pas de côté pour ensuite ouvrir notre regard sur le monde.
En complément de cette exposition, des ateliers sont proposés par les artistes, à la découverte de leurs pratiques respectives, tel des moments propices à l’imagination et au plaisir de faire.
Antidote fiction, une exposition collective à découvrir au centre d’art Nei Liicht et au centre d’art Dominique Lang, Dudelange, Luxembourg, jusqu’au 29 mai 2022
Crédit photographique : Nathalie Noé Adam et Edwin Cuervo