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Yoga d’Emmanuel Carrère perd son équilibre

Yoga d’Emmanuel Carrère perd son équilibre

06 October 2020 | PAR Maëlle Polsinelli

Dans Yoga, si Emmanuel Carrère s’attarde longuement sur le mal qui le ronge et dont il a été diagnostiqué il y a peu seulement  – la “bipolarité de type II” et la dépression qui l’entoure comme un halo brumeux – certaines causes de ce mal sont passées sous silence, et ce que l’on devine comme étant l’une d’entre elles a emprunté le chemin de l’ellipse. 

La rupture de l’auteur du Royaume n’est que très brièvement évoquée, et ce déséquilibre entre descriptions chirurgicales de son angoisse, et silence assourdissant entourant ce moment important de sa biographie frappe le lecteur.  Jeu de style ou discrétion involontaire ? La publication numérique de La Lettre A a révélé ce 23 septembre dernier les dessous de ce silence, écrivant: “Le livre a été partiellement amendé avant publication, et sur intervention de l’ex-compagne d’Emmanuel Carrère, la journaliste Hélène Devynck”. Dans un droit de réponse publié par le magazine Vanity Fair, la journaliste et ex-épouse de l’écrivain s’est expliquée : « Emmanuel et moi sommes liés par un contrat qui l’oblige à obtenir mon consentement pour m’utiliser dans son œuvre. Je n’ai pas consenti au texte tel qu’il est paru », y écrit-elle, soulignant que leur fille mineure y est mentionnée, et qu’elle-même y apparaît « de manière résiduelle » grâce à une « ruse grossière : une anormalement longue citation d’un ouvrage antérieur à notre contrat [D’autres vies que la mienne, P.O.L, 2009)], assortie d’un commentaire que je refuse depuis le mois de mars ». Si Hélène Devynck a obtenu gain de cause, celle-ci dénonce par ailleurs des “mensonges”  et inexactitudes, qui, selon elle, n’ont pas leur place en littérature, lieu de la vérité. L’auteur, qui vient d’être évincé de la deuxième liste Goncourt, aurait notamment inversé des dates et fait preuve de “complaisance” dans la description de sa maladie. 

Dans une tribune publiée par le journal Libération, Emmanuel Carrère s’explique à son tour : la journaliste aurait amendé non pas à une mais deux reprises son texte, à l’origine de l’ellipse et de la réorganisation du récit. Pour autant, l’auteur remercie la journaliste qui ne lui a pas “lâché la main”, même dans les heures les plus sombres de la dépression. Quant aux “mensonges”, le terme ne serait pas approprié pour décrire une oeuvre littéraire, se justifie l’auteur, puisque précisément “c’est la nature de ce livre”, écrit-il, et sans doute même des livres en général, comprend-t-on en filigrane :  “c’est son identité d’être impur, hybride, tiraillé entre pacte de vérité avec le lecteur et fiction par endroits imposée.” 

Le genre autobiographique fait polémique 

Depuis la polémique autour du roman de Yann Moix (Orléans, 2019), en passant par celle qui entoure celui du philosophe Raphaël Enthoven (Le Temps Retrouvé, tout juste paru), le récit autobiographique fait plus que jamais débat. Par sa nature, il implique nécessairement des personnes qui n’ont pas la tranquillité de n’être que des personnages et de fait, ne sont pas toujours consentantes. Pour les uns, le roman comme objet littéraire se trouve dévoyé, trop “people”, lorsqu’il raconte l’intimité de son auteur, mais pour les autres, il n’y a toujours que vérité en littérature, que ce soit dans la fiction ou la non-fiction, et l’autobiographie en est une représentation comme une autre. Une certitude :  les ricochets du parti-pris autobiographique semblent avoir eu un important écho, ébranlant le – jusqu’ici – paisible chemin de Yoga (vendu à près de 170 000 exemplaires). 

Crédit Visuel : © Couverture du livre 

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Maëlle Polsinelli

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