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Violences faites aux femmes :  Le point de vue de  Françoise Guyot, magistrate

Violences faites aux femmes : Le point de vue de Françoise Guyot, magistrate

08 March 2020 | PAR Jean-Marie Chamouard

Le mouvement « Me Too » existe depuis 2007, mais il est devenu célèbre depuis la marche des femmes en Janvier 2017 à Washington et surtout depuis l’affaire  Harvey Weinstein en octobre 2017. Depuis, les cas d’agressions sexuelles dans les milieux artistiques puis dans le sport font la une de l’actualité. Madame Françoise Guyot  magistrate au parquet de Paris travaille au cœur de l’institution judiciaire, elle est spécialisée dans les violences faites aux femmes : son avis sera très précieux pour comprendre  ce qui est devenu un phénomène de société. 

JM Chamouard : Pouvez-vous  me parler de votre parcours professionnel.

Françoise Guyot : J’étais conservatrice à Beaubourg puis je suis devenue magistrate en 1993. J’ai toujours travaillé au Parquet, dès la sortie de l’école. D’abord au tribunal de Bobigny au parquet des mineurs pendant six ans puis je suis arrivée à Paris. J’ai été chargée de mission dans la lutte aux violences faites aux femmes et en particulier aux violences conjugales. J’ai pris ma retraite le 14 mars 2014, depuis je suis magistrate honoraire au cabinet du procureur de la République de Paris, toujours en charge de la lutte contre les violences conjugales. J’interviens aussi à l’étranger, ma dernière mission cet automne était au Bénin. 

Au-delà des phénomènes médiatiques, comment analysez-vous cette  libération de la parole, les femmes semblent avoir surmonté la peur de témoigner.

Cette évolution est maintenant très visible mais elle part de plus loin. Les violences faites aux femmes, notamment conjugales, ont longtemps été ignorées, banalisées, relevant de la sphère du privé. Depuis une quarantaine d’années, les associations féministes se sont engagées dans la dénonciation des violences masculines et ont progressivement amené  la société à prendre conscience de leur ampleur. Dès la fin des années 80 leurs initiatives ont été relayées par les pouvoirs publics et la lutte contre les violences conjugales s’est inscrite progressivement dans les priorités de l’Etat. Parallèlement des formations spécifiques pour les policiers et pour les magistrats ont vu le jour.  La libération actuelle a été longuement préparée par le travail des associations féministes. La législation a beaucoup évoluée, la conjugalité est devenue une circonstance aggravante des violences. 

Quelle est l’importance quantitative de l’augmentation du nombre de plaintes pour violences physiques ou sexuelles ?

Le nombre de procédures n’a pas beaucoup augmenté pour les violences conjugales mais il est plus important pour les violences sexuelles et pour le harcèlement. Les pouvoirs publics encouragent le dépôt de plainte. Le silence n’est plus de mise .Le territoire est couvert par un réseau associatif qui peut venir en aide aux femmes, les amener et les aider à déposer plainte. Certains commissariats sont pourvus de psychologues et de travailleurs sociaux.Tout cela contribue à favoriser le parcours judiciaire des femmes victimes de violence.

L’impression est celle d’une épidémie souterraine qui remonte à la surface. Existe-t-il une augmentation récente des violences faites aux femmes ? 

Il est toujours difficile de parler d’augmentation de la violence car il faut tenir compte du fait que maintenant les faits sont dénoncés plus facilement  et qu’on en parle plus.

Depuis 2006, la délégation aux victimes du Ministère de l’Intérieur publie chaque année  l’étude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Les « féminicides »  étaient de 134 en 2014, de 123 en 2015, de 123 en 2017 et de  130 en 2018. Pour 2019, il n’y a pas encore de chiffres officiels mais selon les sources entre 122 et 150 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex conjoint.  Les « féminicides » représentent  80% des crimes dans le couple. Les hommes victimes ont souvent été des  conjoints violents. A Paris, les violences au sein du couple représentent près de 20% des procédures pour violences volontaires enregistrées par les services de police.

Ne pensez vous pas aussi qu’il existe  et « c’est heureux », une diminution du seuil de tolérance de la violence dans la société française ?

Oui, la tolérance diminue globalement notamment en matière d’agressions sexuelles et cela grâce aux témoignages des actrices et  des sportives qui ont révélé les viols dont elles ont été victimes. Rétrospectivement le cas Gabriel Matnzeff invité dans des émissions  de télévision de grande écoute et les propos tenus par exemple lors de l’émission « Apostrophes » ne seraient plus tolérables alors que le code pénal criminalisait  déjà les faits racontés.

La fréquence des violences infligées aux femmes et des « féminicides » en particulier reste choquante. Comment pouvez-vous l’expliquer ? Quelle est l’importance des facteurs psychiatriques ?

Tous les  milieux sociaux sont concernés, mais dans les milieux aisés ou de pouvoir, les faits sont moins révélés.  Le rôle de la pathologie psychiatrique n’est pas majoritaire et le rôle de l’alcool ou des stupéfiants est loin d’être constant. 

Le travail du juge parait difficile. Comment développer une écoute de qualité dans toute la chaîne judiciaire ?

Pour tous les magistrats c’est un domaine difficile non pas sur le plan juridique mais dans la pratique. Trancher n’est pas toujours facile.  Une écoute de qualité signifie qu’il faut une présomption de crédibilité pour les femmes victimes de violence et non, comme c’est parfois le cas, une enquête à charge  à l’encontre de la plaignante ! Les formations des policiers et des magistrats devraient intégrer cette notion. 

Comme l’aborde  le livre de Karine Tuil «  Les choses humaines » la notion de consentement peut être parfois difficile à établir.

Il faut aussi comprendre le phénomène d’emprise. Ne pas se défendre ne veut pas dire consentir. Il peut y avoir un état de sidération. Une psychiatre Murielle Salmona a beaucoup travaillé sur l’emprise et sur le psycho- traumatisme touchant les victimes. Marie Ange Le Boulaire, journaliste et réalisatrice, elle-même victime d’un viol, a fait un film autobiographique «  le viol »qui est utilisé dans les formations de policiers  sur l’audition de la victime.

Les « féminicides » surviennent souvent après plusieurs alertes comme s’il existait une montée progressive de la violence. Quelle prévention peut être mise en place par la justice, Quelle est la réponse proportionnée ?

La lutte contre les violences conjugales repose sur une politique pénale  de fermeté à l’encontre des auteurs, assortie de la mise en place de dispositifs de protection des victimes. 

Des mesures vont imposer l’éloignement du conjoint violent notamment lors  d’un contrôle judiciaire assorti d’une interdiction d’entrer en contact avec la victime. Il y a  donc obligation de quitter le domicile conjugal en attendant l’audience de jugement et si l’interdiction n’est pas respectée le contrôle judiciaire doit être révoqué. Un  dispositif de télé-protection pour les femmes en grave danger a été expérimenté puis maintenant généralisé à toute la France. La victime se voit doter d’un téléphone permettant d’alerter les services de police par un circuit court en vue d’une intervention rapide et d’interpeler le conjoint qui n’a pas respecté une interdiction d’entrer en contact. Ce dispositif est destiné  à empêcher un nouveau passage à l’acte, à sécuriser les femmes en grand danger et leurs enfants. Il contribue à la prévention de la récidive des actes de violences au sein du couple et à un meilleur accompagnement des victimes qui font l’objet pendant le temps de la mesure, d’un suivi par une association d’aide aux victimes. A Paris nous avons à disposition 40 téléphones  « grave danger » qui peut  être remis par le Parquet aux victimes. Par ailleurs nous avons mis en place des stages de responsabilisation des auteurs de violences. Des bracelets anti rapprochement sont actuellement expérimentés. Depuis octobre 2010, avec l’ordonnance de protection qui est une mesure civile, le juge aux affaires familiales peut ordonner à la demande de la victime une décohabitation et un éloignement sans dépôt de plainte et sans   procédure pénale.

Pensez vous que l’arsenal juridique actuel est suffisant ou faut il de nouvelles lois ?

Je milite surtout pour que la loi soit bien comprise  et appliquée. La législation est de plus en plus performante. 

Depuis le Grenelle sur les violences faites aux femmes de 2019  la notion de dangerosité des conjoints violents a été mise en avant et des pistes de travail  se construisent. La politique pénale du parquet de Paris vient d’introduire cette dimension et parallèlement les policiers doivent remplir une grille d’évaluation de la dangerosité lors de leur enquête.

Que pensez-vous de l’imprescriptibilité  des crimes sexuels ?

Beaucoup d’associations militent  pour, mais les preuves risquent d’être alors difficiles à obtenir. Il faut surtout encourager les victimes à porter plainte le plus rapidement possible.

Pensez-vous que l’institution judiciaire manque de moyens financiers dans la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Il est  évident qu’il faudrait plus de magistrats et de greffiers  en charge de cette thématique. Ce manque de moyens est encore plus important pour la police.

Pour  la prévention à plus long terme on pense aussi  à l’éducation en particulier des petits garçons, à une culture de  non violence au quotidien. Pour vous quelle serait une politique de prévention optimale ?

Cela se fait déjà dans les écoles, dès la maternelle. C’est un effort de l’Education nationale. Une politique de prévention optimale serait aussi d’apprendre  aux petites filles à être vigilantes et à en parler en cas de problèmes.

La société semble dire «  cela suffit ». Nous sommes peut être à un tournant sociétal important. Que pensez-vous de ce nouveau moment féministe ?

Il y a un tournant. IL y a beaucoup de jeunes dans les manifestations et c’est bien.Le féminisme historique avait besoin « d’un rajeunissement » et là il y a plein de collégiennes, de lycéennes  et également beaucoup d’adolescents et de jeunes hommes. 

Peut-on espérer pour l’avenir comme l’écrit Yvan Jablonka une justice de genre, une égalité acceptée par tous. Comment voyez-vous l’avenir des relations hommes-femmes ? 

 Tout cela peut déstabiliser les hommes mais cette égalité est à construire ensemble dès l’enfance grâce à l’éducation scolaire et parentale. La société intègre depuis peu que les violences conjugales ont des répercussions extrêmement dommageables pour les enfants témoins. C’est devenu une circonstance aggravante lorsque les enfants sont présents lors des violences. Un conjoint violent ne peut pas être un bon père.

Etes-vous optimiste pour l’avenir ? 

La dernière loi et sa circulaire d’application du 29 décembre 2019 est un progrès réel, tant sur le plan de la justice que sur la prise en charge sociale. La dernière loi notamment  va améliorer les filières de l’urgence, le suivi des victimes et des prévenus. Un engagement constant de la part de l’Etat tant sur la prévention que sur la répression est indispensable, c’est ce que le Grenelle  a acté et j’espère que ce sera un engagement durable. 

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Jean-Marie Chamouard

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