Starobinski, mort d’un mélancolique
Le critique littéraire suisse est mort ce lundi 4 mars, à l’âge de 98 ans. Retour sur près de cent ans de recherches.
C’est un homme à l’érudition presque universelle qui vient de s’éteindre. Alors que, depuis la fin du XVIIIe siècle, les sciences, devenues trop pléthoriques, semblaient condamnées à l’éclatement, Jean Starobinski était un homme à la culture universelle, qui aurait trouvé sa place dans le modèle de l'”honnête homme”.
Un théoricien de la mélancolie
A côté des théoriciens avides de métalangages que furent les structuralistes, psychocritiques et autres formalistes, le critique écrivait sans jargon, nous rendant accessibles la pensée de Rousseau ou les mécanismes de l’expression mélancolique.
C’est son travail sur cette dernière que nous retiendrons ici, témoignage d’un travail rigoureux et titanesque, et surtout d’un amour des livres qui n’empêche pas la rêverie. Loin de trouver dans la littérature le prétexte à une dissection dénuée de sentiments, Starobinski, en ses écrits, autorise le lecteur contemporain à bovaryser… Son approche tient certainement beaucoup à ses connaissances de médecine et, surtout, d’histoire de la médecine. Si les théories médicales, obsolètes ou contemporaines, informent les représentations artistiques et littéraires de nos affects, c’est au critique suisse que revient le mérite de l’avoir mis au jour.
Un critique de la subjectivité
Comment, depuis, lire Baudelaire et ses “Spleen”, Rousseau et ses névroses, sans faire une place à l’ “humeur noire” censée présider aux tempéraments dépressifs ? Sans doute est-ce le thème même de ses recherches qui invite Starobinski à lire sans renoncer à sa subjectivité. A un moment où l’analyse littéraire tentait de singer les sciences dites “dures” à grand renforts de schèmes, sous-schèmes et sous-catégories, Starobinski laisse aux chirurgiens le maniement du scalpel et accorde à la littérature la place qui lui revient : celle de lire le monde à travers les yeux du sujet, auteur ou lecteur.