Quel avenir pour le festival OFF d’Avignon ?
Le OFF d’Avignon, souvent qualifié du “plus grand théâtre du monde” avec son modèle économique particulier à fait partie des nombreux événements annulés cet été. Contrairement au Festival d’Avignon, surnommé “Le In” qui fonctionne majoritairement avec des fonds publics (les subventions représentent près de 60% de son budget), auquel s’ajoute notamment du mécénat et les revenus de la billetterie, le OFF repose sur un autofinancement et rassemble des théâtres privés qui louent pour la plupart au créneau (rarement moins de 10 000 euros et jusqu’à 20 000 euros pour la fourchette haute) leurs salles aux compagnies. Avec la crise du Covid, ces derniers ont donc subit de plein fouet l’annulation du festival. En effet, la situation a été déclarée comme un cas de force majeure et ce sont les théâtres qui ont dû rembourser les acomptes déjà versés par les compagnies pour les locations qu’elles avaient effectué.
Un fond d’urgence pour aider les théâtres privés
Pour remédier à cette situation, le ministère de la Culture à choisi de créer un fonds d’urgence afin d’éviter les cessations de paiement ou les liquidations des théâtres avignonnais. Dans le communiqué, il est indiqué que “ce fonds s’adresse aux théâtres pérennes non subventionnés, privés d’activité en juillet, et ayant remboursé les compagnies des acomptes versés”. Il est aussi précisé que cette aide cherche à valoriser “les théâtres qui proposent une activité à l’année, et ceux qui partagent le risque avec les compagnies”. Si on considère que tous ont remboursé les compagnies, ils sont au total 86 théâtres à pouvoir prétendre bénéficier de cette aide selon Pierre Beffeyte, contacté par téléphone.
“Ce qu’a montré cette crise, c’est que les théâtres sont fragiles. Les compagnies, elles le sont aussi, mais ça on le sait depuis des années”
Comme nous le précise Pierre Beffeyte, la crise du Covid et l’annulation du festival qui s’en est suivie, a mis en lumière l’équilibre précaire du OFF et de son modèle économique. Si c’est la fragilité des théâtres qui est mise en avant par cette aide d’urgence qui intervient pour soulager ces derniers après les remboursements qu’ils ont du effectuer, la fragilité des artistes et des compagnies est quant à elle dénoncée depuis longtemps. Pierre Beffeyte, au moment de sa prise de poste en 2016, s’exprimait à Toute La Culture au sujet de la précarité des artistes. Celle-ci est également dénoncée par Les Sentinelles, la Fédération de compagnies professionnelles du Spectacle Vivant, dans leur lettre ouverte “Avignon Festival Off en danger !”. Ils écrivent notamment que “les compagnies de théâtre n’ont plus les moyens techniques de présenter des spectacles de qualité”, “que les contraintes de rendement auxquelles on les astreint, les obligent à formater leurs spectacles et notamment à en réduire la durée, les décors et la lumière” et que“même en faisant tous les jours salle comble, une compagnie est condamnée à s’endetter”.
“Il n’y a pas de liberté sans régulation“
Pour le président du OFF, repenser le festival est une nécessité : “Si on veut défendre les artistes et si on veut défendre la liberté de la création, on est obligé de réguler cet endroit parce qu’il est devenu ingérable sur un plan économique pour les artistes. À titre personnel, je pense qu’il n’y a pas de liberté sans régulation, penser aujourd’hui le festival sous son angle purement libertaire, c’est ne pas se rendre compte qu’il y a eu 50 ans qui sont passés”. Une réflexion collective a donc été mise en place pour penser le OFF du futur. Un questionnaire ouvert à tous a été lancé en mai et s’est clôturé en juin avant la tenue d’un forum ouvert sur la réforme du OFF qui a eu lieu à Avignon en juillet. A partit de septembre et à l’issue de ces consultations, le travail sur la refonte du festival va être entamé pour pouvoir présenter des solutions à l’assemblée générale.
Vers un nouveau festival OFF : moins de spectacles et plus de coréalisations ?
Si les nouvelles orientations du OFF ne sont pas encore connues et devront d’abord être présentées à l’assemblée générale de l’association AF&C en novembre avant d’être adoptées, Pierre Beffeyte envisage à titre personnel une réduction des spectacles et une valorisation des coréalisations. “Je pense qu’il faut qu’on se pose la question de la diminution du nombre de spectacles qui rend le modèle économique impossible pour les compagnies, mais en même temps, ça pose la question de qu’est ce qu’on fait de l’émergence ? Ce sont des sujets préoccupants auxquels il faut faire attention”. En effet, cette volonté d’émergence est à l’origine même de la création du festival et l’année dernière, sur 1 592 spectacles présentés au OFF, 1 134 l’étaient pour la première fois à Avignon (source : artcena.fr). Cette diminution des spectacles pourrait s’accompagner en parallèle d’une augmentation des coréalisations, c’est à dire un partage des frais entre les théâtres et les compagnies, ce qui changerait le rapport aux spectacles, au public et aux artistes. “Je trouve que c’est très vertueux, à partir du moment où on partage le risque ensemble, on a tout intérêt à ce que le résultat soit bon, alors que tant qu’on est sur un système de location, même si certains directeurs de théâtre sont très sensibles au résultat artistique, il y a en a d’autres qui s’en fichent un peu parce qu’à partir du moment où ils ont loué leur salle, ça n’a pas d’impact pour eux”.
Une refonte en cours toutefois soumise aux aléas sanitaires
Si l’occasion de réfléchir sur l’avenir du OFF est idéale, cette refonte est elle-même soumise aux aléas sanitaires. “On est dans un climat tellement spécifique, ça pose la question de comment inclure une politique culturelle dans un climat d’urgence” s’interroge Pierre Beffeyte. En choisissant de diriger ses aides d’urgence vers les théâtres pratiquant la coréalisation, le ministère de la culture avec à sa tête Roselyne Bachelot semble toutefois avoir fait un pas dans la bonne direction.
Dans tous les cas, selon les mots du directeur du OFF, “penser que le festival peut rester comme ça c’est une illusion et c’est un danger : je suis pour une régulation du festival, mais il faut que ce soit une régulation qui n’empêche pas les gens de créer mais au contraire qui les incite et qui leur donne les meilleurs outils pour le faire”. Rendez-vous donc dans les prochains mois pour voir comment va évoluer le festival OFF d’Avignon.
Visuel : ABN