Politique culturelle
Un an après les attentats de Charlie Hebdo : la place cruciale de la caricature et du dessin d’actualité

Un an après les attentats de Charlie Hebdo : la place cruciale de la caricature et du dessin d’actualité

07 January 2016 | PAR Gilles Herail

Un an après la tuerie de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, que reste-t-il du fameux esprit Charlie vendu à toutes les sauces depuis janvier dernier. Toutelaculture revient sur le retour en grâce de la caricature et du dessin d’actualité, qui tente de survivre malgré la difficulté grandissante de gérer l’humour, le second degré et la polémique. 

Dans le documentaire L’humour à mort (encore en salles), Élizabeth Badinter décrit avec beaucoup d’intelligence l’une des clefs qui explique l’incroyable émotion de janvier 2015. Un sentiment collectif de culpabilité, face à nos propres renoncements, nos petites lâchetés, qui ont fait de Charlie un résistant solitaire défendant corps et âmes, sans alliés, sa ligne éditoriale. Devenant une cible idéale pour des terroristes qui ont sauté sur l’occasion de faire taire cette petite voix discordante qui se différenciait de la masse. L’émotion post-attentats a révélé un attachement profond et sincère à un journal qui prenait de la distance, s’amusait des différents niveaux de lectures, quitte à mettre les pieds dans le plat. Un hebdo unique par sa liberté de ton, son ambition politique (même si elle faisait légitimement débat, y compris en interne), sa capacité à susciter des réactions.

La caricature est un art essentiel car elle demande une lecture active, une appropriation raisonnée et réfléchie, une capacité à prendre de la distance. Un simple dessin peut être interprété à l’infini, par les symboles qu’il évoque, les associations d’idées qu’il induit, les messages qu’il peut ou non sous-tendre. Le coup de crayon peut-être génial ou médiocre mais l’intelligence du caricaturiste permet de saisir une faille, de provoquer le doute, la colère, le rire, l’incompréhension. Bref, du sentiment et du positionnement. Les jours suivant les attentats, la réaction de beaucoup de français a été de se replonger dans des dessins de Charlie. De les afficher, les montrer, les partager, les commenter. Et certains, ressortis pour l’occasion, ont pu choquer, ne collant pas vraiment au mythe bon enfant rassembleur qui a été créé après les attentats.

Car la caricature n’est pas neutre et ne plait pas forcément à tout le monde. Le 7 janvier nous a ré-appris à décrypter une forme de discours politique qui n’était pas loin de tomber en désuétude. Et cette redécouverte n’est pas allée sans difficultés, se confrontant à des Pro-Charlie incapables d’entendre des commentaires critiques sur des artistes qu’ils considèrent comme inattaquables. Et à des anti-Charlie mal à l’aise avec le droit au blasphème et au traitement corrosif de thématiques complexes. La Une du numéro spécial “un an après” représentant un Dieu meurtrier avec comme légende “l’assassin court toujours” en est un bon exemple. Les réactions ont été nombreuses, parfois extrêmes, mais le dessin de Riss a fait parler de lui. Permettant d’ouvrir un débat, d’échanger, de discuter. Même si la gêne reste présente, comme si l’on ne savait plus trop comment se dépatouiller de ces formats ambigus, qui n’affichent pas clairement la couleur, ne peuvent être facilement catégorisés, n’entrent pas dans nos cases pré-remplies de bien et de mal, de drôle ou de condamnable.

Depuis janvier, la caricature et le dessin d’actualité ont confirmé leur place dans l’espace médiatico-politique. Un retour en grâce qui tient aussi de la montée en puissance des réseaux sociaux, valorisant le partage d’images plutôt que le texte. Les attentats de novembre l’ont encore démontré: le dessin est redevenu un réflexe, qu’il soit cynique, pertinent, déplacé, cathartique, endeuillé, triste ou joyeux. Les quelques coups de crayons de Joan Sfar en réaction au hashtag #PrayForParis ont été partagés par des millions de personnes sur Twitter et Facebook. Et la Une de Coco célébrant le champagne face aux armes a constitué un pied de nez parfait à l’horreur du massacre. Plusieurs journaux indépendants, connus pour leurs dessins, ont également connu un petit regain de forme dans l’émotion post-Charlie (Le Canard enchaîné s’est bien vendu dans les semaines suivant les attentats).

La popularité retrouvée de l’art de la caricature, dans ce qu’elle a de plus polémique et de plus politique, pourrait n’être qu’éphémère. Et cette semaine d’hommages et de commémorations est l’occasion de manifester une nouvelle fois notre attachement à une forme d’expression plus que jamais essentielle au débat public.

Gilles Hérail

Visuel : (c) DR

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