Sébastien Di Mayo : “Alerter la Ministre de la Culture sur le malaise des pratiques artistiques amateurs est essentiel”
Sébastien Di Mayo est chef de plusieurs chœurs dans le Vaucluse. Il nous parle du silence de l’Etat concernant la mise à l’arrêt des pratiques amateurs sur l’autel de la Covid. Il a d’ailleurs directement sollicité Roselyne Bachelot.
Commençons par le début. Pouvez-vous vous présenter ? Me dire qui vous êtes, quel est votre métier et votre passion ?
Je m’appelle Sébastien Di Mayo. Je suis ingénieur en chimie au laboratoire départemental de la Drôme où je m’occupe notamment d’analyses de pesticides et de médicaments dans les eaux. Dans les eaux aussi bien destinées à la consommation que les eaux de l’environnement, de surface et souterraines. Ce sont des analyses de santé publique.
Nous sommes loin de la culture !
Mais la science et la culture se rejoignent à un moment ou à un autre. On est sur un fonctionnement de l’esprit qui est assez commun. Et puis depuis plusieurs années, je fais de la musique, j’ai commencé par la clarinette, le solfège, et puis le chant. J’ai commencé par chanter à Avignon, dans un chœur, le chœur Homilius, et je suis ensuite rapidement passé de l’autre côté. C’est-à-dire sur la partie direction. J’ai commencé au chœur Robert Grimaud à L’Isle sur la Sorgue en 2003. Je dirigeais le chœur, qui était à la fois a capella avec une quarantaine de choristes, et deux ans après j’ai repris la direction du Grand Choeur à l’Ensemble Vocal de Grenoble sous la direction de Francine Bessac. Et puis j’ai pris la direction du chœur Homilius à Avignon en 2006, qui est un ensemble vocal d’une vingtaine de choristes.
Comment cela se passe-t-il pour vous en ces temps de COVID ? Osons la question, les lieux de cultes sont ouverts, vous chantez dans les églises. Est-ce que vous avez le droit pour autant de travailler ?
Non, on ne peut pas en ce moment. Nous avions réussi à reprendre en septembre-octobre après les congés d’été. Evidemment masqués, à distance, dans des lieux qui étaient assez grands, qui nous permettaient de nous éloigner et d’aérer, soit des grandes salles municipales soit des églises. La particularité des chœurs amateurs est que les choristes ont également à côté une autre activité professionnelle qui les occupe en journée, donc leurs seules disponibilités sont le weekend ou en soirée. Ces temps-ci, c’est devenu très compliqué de mobiliser les choristes durant les weekends, donc on privilégie les soirées. Avec le couvre-feu, c’est encore plus compliqué. Nos répétitions avec le chœur Homilius étaient mercredi soir, lundi soir avec le chœur Grimaud, et une fois par mois samedi toute la journée de samedi. On ne peut plus de déplacer à partir de 20h, voire 18h maintenant dans le Vaucluse, donc on ne peut pas répéter la soirée. Et la deuxième difficulté, c’est que quand on répète en journée le samedi ou le dimanche, on a besoin d’accéder aux salles municipales (celle de la Sorgue), et elles ne sont pas ouvertes aux activités de culture pour adultes. Les écoles de musique et conservatoires ont rouvert pour les mineurs, mais les activités pour adultes n’ont pas réouvert, en tout cas pour le chant et activités de groupe. Donc, non, pour nous, il n’y a ni répétition ni concert.
De quel secteur dépendez-vous, vous, les amateurs ? Existe-t-il un quelconque dispositif d’aide de l’Etat pour vous ?
Non, absolument pas. Les fonctionnements sont un tout petit peu différents pour les chœurs Grimaud et Homilius. L’un des deux chœurs est subventionné pas l’autre. Mais le chœur Grimaud a vu l’an dernier sa subvention diminuer, car le budget était moindre au niveau du fonctionnement du chœur : on n’avait ni l’orchestre, ni les musiciens. Mais la municipalité a tout de même pu nous aider un peu. A Avignon, nous n’avons pas de subventions depuis de nombreuses années sur le fonctionnement du chœur. En tant que chœur associatif, aujourd’hui nous n’avons pas de soutien particulier de l’Etat. Le seul soutien, et il est très utile, ce sont les messages que l’on reçoit de notre public habituel, sur les réseaux et qui disent “vous nous manquez, on a besoin de vous retrouver en concert”. Nous aussi nous avons besoin de retrouver les concerts. Mais aussi aller chanter, retrouver nos amis musiciens et chanteurs, aller voir des danseurs, aller au théâtre, à l’opéra…
Quelle a été votre position à vous en tant que chef de chœur lors du référé-liberté, les manifestations du 15 décembre ?
J’ai personnellement pris la décision de saisir la ministre de la culture Roselyne Bachelot, c’était il y a 10 jours. Jusqu’à présent, on a essayé de vivre à travers les réseaux sociaux, de faire des actions, d’être représenté… La pratique amateur est absente des radars. Alerter la Ministre de la Culture sur le malaise des pratiques artistiques amateurs est essentiel car nous avons l’impression d’être complètement isolés. Nous n’existons pas, alors qu’on a mis en place des protocoles sanitaires stricts. Il faut savoir qu’avant ça, j’ai passé trois ans à l’Agence Régionale Santé PACA à Avignon. Donc j’ai travaillé sur toute la gestion de crise du premier confinement et je sais combien c’est important qu’on puisse respecter les gestes barrières, pour nous protéger nous, nos proches mais aussi et surtout le personnel hospitalier. J’en profite d’ailleurs pour le redire. Je ne remets pas du tout en cause ces gestes barrières, mais on a besoin de chanter, de se retrouver. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer à la ministre de la Culture la semaine dernière. Je lui ai expliqué dans ce courrier envoyé notre frustration de ne pas chanter, notre envie de participer à la vie culturelle du pays, le fait qu’on a toujours respecté ces gestes barrières et que l’on compte bien continuer tant que cela est nécessaire et qu’il fallait vraiment qu’elle en prenne conscience. J’ai bien conscience qu’elle ne soit pas la seule à décider autour d’elle. Si les soignants, médecins et infectiologues travaillent à nous accompagner dans ce COVID, que nous aussi les acteurs culturels nous aidons, comme un soutien moral, que nous pouvons changer les idées au public, leur apporter un peu de lumière, qu’ils puissent se projeter un peu et respirer surtout.
Il y a eu énormément de sollicitations auprès de Roselyne Bachelot, nous acteurs culturels n’arrêtons pas d’envoyer des courriers, de manifester auprès de l’Etat et cela n’a pour le moment aucun effet. Vous avez espoir avec cette lettre ?
Disons que sans espoir, je ne l’aurai pas écrite. Concrètement, j’espère que ça débouchera sur quelque chose.
Est-ce que vous pensez qu’en continuant de la solliciter, cela peut finir par avoir un effet ?
J’espère sincèrement que l’effet de masse et de répétition des différents acteurs de la culture qui reviennent vers elle, vers le Conseil d’Etat, et qui osent dire, osent se mettre en avant, ça permettra aux choses de bouger et faire prendre conscience que oui, on peut travailler/répéter/danser/chanter/faire du théâtre et accueillir du public dans des conditions sanitaires qui permettent de ne pas avoir de contamination. Sincèrement, le public qui est assis avec les masques, quel est le risque par rapport aux transports en commun ? Les barres de contamination restent hautes alors que les restaurants et cafés sont fermés, que les lieux de culture sont fermés. Il faut regarder la vérité en face et arrêter de nous dire “on reste fermés car c’est trop dangereux”, non. Depuis deux mois, le danger, ce n’est pas là où il était. Il ne s’est rien passé. J’ai aussi contacté à la Maire d’Avignon—Madame Cécile Helle—qui, je sais, est intéressée par la question de la culture, pour l’informer de ma démarche, qu’elle sache ce qu’on a entrepris. J’ai aussi envoyé mon courrier au préfet du Vaucluse, lui disant que j’avais saisi la ministre de la culture. Certes les décisions ne se prennent pas au niveau local, mais ça me parait important de que les représentants départementaux et régionaux soient au courant de ce qu’on peut mettre en œuvre.
Côté artistique, pouvez-vous me raconter ce que vous faites avec le chœur, sur Zoom ? Comment garder le lien ? C’est mieux que rien ?
Effectivement, c’est du mieux que rien. Sur Zoom, on ne peut pas chanter tous ensemble, le temps d’attente est beaucoup trop important. Donc ce que j’ai proposé aux choristes la semaine dernière et qu’on reconduira, c’est que moi, je suis à la maison, sur le piano, je chante dans le casque et les choristes me voient et m’entendent. Ils peuvent chanter chez eux avec la partition mais ils ne s’entendent pas les uns des autres. Moi je ne les entends pas non plus. Ils n’entendent que ma voix et le piano. Je les reprends s’il faut, je leur demande avec des signes si tout se passe bien; si tel ou tel passage doit être repris, et on le reprend. Toute la difficulté est que je n’ai pas le retour de ce qu’ils font, et que je ne peux pas faire un vrai travail de chef puisque je travaille un peu dans le vide, sans savoir ce qu’ils font précisément. Le gros point positif non négligeable en cette période c’est de tour se voir qui fait l’effet de retrouver un peu de contact. Les chœurs amateurs, c’est une grande famille dans lesquels il se passe des choses formidables et parfois des moments difficiles qu’on traverse tous ensemble, et c’est ça qui est beau. Savoir qu’on se voit et qu’on chante ensemble, rien que ça, ça relance la machine. Et ça me permet aussi de remettre en route des répétitions. La prochaine fois, je serai chez le pianiste, ce qui me permettra de diriger le pianiste, diriger une personne, et les 50 choristes seront connectés. Ils entendront le pianiste, ils me verront diriger et pourront chanter chacun chez eux. Je ne les entendrai pas, eux n’entendront pas les autres, mais au moins on reprendra ensemble, en live.
Et avez-vous fait des lives durant les confinements, sur Instagram notamment ?
J’aurai bien aimé, mais non pour plusieurs raisons : je n’avais pas les outils pour le faire et j’ai continué à travailler en présentiel à l’ARS pendant le 1er confinement, on a travaillé parfois 7 j sur 7, 24h sur 24 avec les Ephads et hôpitaux et quand la journée commençait à 8h et se finissait à 21h, c’était un peu compliqué de se remettre le soir sur du montage vidéo. En revanche, nous avons diffusé quelques uns de nos concerts, des captations sur l’année précédente que nous avons mis sur les réseaux.
Est-ce que vous voulez rajouter quelque chose ?
Oui. Ce que je souhaite ardemment, c’est qu’on puisse reprendre en présentiel avec les deux groupes. Travailler sur les partitions, retrouver le plaisir de chanter tous ensemble, d’écouter les harmonies et dissonances, retrouver le public et partager à nouveau la découverte d’une partition, cette joie, cette vibration qu’il y a quand on chante. Et puis j’ai envie d’aller en concert. Très égoïstement, retourner m’asseoir dans une salle de théâtre. La non-tenue du festival d’Avignon l’an dernier était un véritable crève-cœur pour nous. Ce n’est pas possible de rester dans ce silence là.
Visuel ©Youpix
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MORATA Bernard
Le matraquage médiatique quotidien que nous subissons depuis bientôt un an à propos de la COVID 19 nous inonde d ‘ informations souvent contradictoires . Il alimente un climat mortifère qui aura probablement des conséquences psychologiques graves , bien après la fin de l ‘ épidémie . Rien pour apporter un peu de légèreté dans ce quotidien désespérant . J ‘ ai le plaisir de chanter dans un des ensembles dirigés par Sébastien Di Mayo et je tiens à lui apporter mon soutien inconditionnel dans sa démarche visant à faire ” entendre la voix ” du monde choral amateur .
O’Neill Victoria
Bravo Sébastien pour tous vous avez dis et de représenter nos avis de les chefs de les chorales devant la ministre du culture. Je suis vraiment d’accord avec tous vous avez dis. Pour mes chorales super difficiles. Ils sont en général dans le retrait et pour eux Zoom ne marche pas. Pour eux de chanter ensemble c’est la vie et vraiment important pour ses morales, pour la santé et certainement bien pour le cerveau…! J’ai essayé vraiment de faire avec zoom ou d’envoyer les mails mais pour beaucoup la monde technique ne marche pas… c’est triste. J’ai aussi beaucoup qui a perdu son marie/femme et maintenant toute de seule donc de faire chorale est comme une famille…
Septembre et octobre on a répété bien avec les protocoles stricte, avec distance, ventilation etc et pas d’un cas – (j’ai 40 dans une chorale age average 65-70 et mes autre chorales plus professional entre 30-70 et plus petites – mais encore sans incident – pas un cas)…
Aussi les cours de chante individual aussi importante – ici à notre école nous avons les grands salle plus 4m distance – pourquoi on ne peux pas le faire – je peux enseigner flûte, mais pas chant… je ne comprends pas pourquoi – et pourquoi pas les adultes qui vraiment besoin d’être vis à vis… je trouve maintenant que mes adultes commence un peu un peu d’être plus triste et moins motivé. J’essaye beaucoup de reste positive avec eux car ces important et de faire les projets par vidéo – mais franchement ça commence d’être supper difficile. Et maintenant je commence de perdre ma morale. Je pleure beaucoup certainly ment que mes collègues commencé de parler d’arrêté son bulout et faire d’autres choses car impossible de continuer… difficile de voir la luminaire… je suis un person vraiment positive normalement – donc j’essaye, j’essaye de reste positive pour mes élèves et choristes…. mais… en ce moment je trouve pour le premier fois… difficile…
Courage à tous