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Retour sur les dix premières années du Louvre-Lens

Retour sur les dix premières années du Louvre-Lens

29 January 2023 | PAR Julia Wahl

Le Musée du Louvre-Lens fêtait le moins dernier ses dix ans. L’occasion d’établir un premier bilan sur un musée encore tout jeune.

Quelques festivités

Le Musée du Louvre-Lens s’est ouvert en 2012, à l’occasion de la fête de la Sainte-Barbe, patronne des mineur.es. Au vu de son ancrage au plein cœur du Bassin minier, il était difficile de ne pas articuler cet anniversaire autour de cette fête symbolique : « Chaque année, nous célébrons son anniversaire ce 4 décembre avec l’ensemble des habitants et des partenaires du territoire. C’est une date à laquelle je suis très attachée », nous a déclaré Marie Lavandier, directrice du musée.

Pour l’occasion, deux expositions d’ampleur ont été programmées l’année 2022 : Rome. La Cité et l’Empire (d’avril à juillet) et Champollion. La voix des hiéroglyphes (de septembre à janvier 2023). Il faut compter avec un invité de marque pour cette deuxième exposition : le Scribe accroupi en personne, prêté à cet effet par le Louvre de Paris. D’autres événements, destinés à faire venir au musée des personnes qui y sont peu habituées, ont été programmés : un Egyptobus qui a sillonné tout le département ou un atelier « Egyptodisco » qui avait pour ambition de permettre aux participant.es de s’approprier la gestuelle égyptienne, conformément à la profession de foi de Marie Lavandier : « Au Louvre-Lens, nous travaillons des propositions qui font la part belle au corps et mobilisent d’autres compétences que celles apprises à l’école. » D’autres événements festifs ont permis de rendre visible le Louvre-Lens : une promenade enflammée dans le parc, un concert de Rosemary Standley ou une tournée « warm-up » du Hellfest. Un anniversaire en forme de succès, puisque le Musée du Louvre a compté plus de 20 000 entrées sur le week-end.

Last, but not least, ce week-end a vu le lancement de l’exposition Intime et moi, conçue de manière originale, son commissariat ayant été assuré par des jeunes en insertion suivi.es par l’association L’Envol.

Les missions premières du Louvre-Lens

Cette question du public et de sa participation aux activités est au cœur des missions du Louvre-Lens, et ce, dès sa création. En choisissant de construire ce musée au plein centre du Bassin minier, dans un territoire éloigné des institutions culturelles, les pouvoirs publics faisaient le pari de diversifier les visiteurs et visiteuses des musées d’art.

A cet objectif de démocratisation culturelle s’associait un objectif de développement économique : la présence du musée devait changer l’image du territoire et permettre ainsi le développement d’un nouveau tissu économique, selon le modèle du Musée Guggenheim de Bilbao. Cette ambition serait à prendre avec circonspection selon la géographe Camille Mortelette[1], et ce pour au moins deux raisons.

La docteure en géographie relève tout d’abord que l’argument de « l’effet Bilbao » (l’idée selon laquelle la présence du musée permettrait un véritable renouveau territorial) n’est apparu que tardivement dans des discours politiques cherchant à promouvoir l’arrivée du musée : « Les discours sur le renouveau territorial sont arrivés autour de 2009, donc quatre ou cinq ans après l’annonce que le musée du Louvre serait à Lens, au moment où on s’est aperçu que ce serait cher, que ce serait le contribuable qui allait payer et qu’il fallait trouver une justification supplémentaire à la venue du musée que simplement l’arrivée des trésors de la nation. »

Elle rappelle en outre que l’effet Bilbao lui-même est un modèle à nuancer : « L’effet Bilbao a été discuté. Il y a plutôt un consensus pour le relativiser parce que l’arrivée du musée [Guggenheim à Bilbao] s’est faite dans le cadre d’une vaste opération de rénovation urbaine, qui avait commencé bien avant l’arrivée du musée et on ne peut pas dire que c’est grâce au musée que la ville a opéré sa mue. »

Le Louvre-Lens et son territoire

Il s’agit donc pour le Louvre-Lens de parvenir à s’intégrer à un territoire qui lui est étranger et à faire corps avec. Si nul.le ne conteste la gageure qu’un tel objectif représente, il convient de garder cet horizon en tête.

Il s’est alors agi de prendre acte de l’identité minière du territoire pour éviter de sembler tourner le dos au passé industriel. Cela n’a bien sûr rien d’une coïncidence, le musée a ouvert ses portes l’année où le patrimoine minier fut inscrit au patrimoine de l’UNESCO. En outre, les festivités autour de la Sainte-Barbe, les ateliers sur les lampes de mineur.es ou la maquette de la mine exposée dans le hall s’inscrivent dans cette logique d’ancrage dans cette histoire ouvrière.

Ce choix serait toutefois à double tranchant : s’il s’agit de ne pas tourner le dos à un passé industriel encore récent, il aurait tendance à figer l’identité des habitant.es. « En sciences humaines et sociales, on caractérise depuis un moment maintenant l’identité comme étant quelque chose qui est en construction, qui n’est pas fixe, qui évolue avec le temps », nous confie Camille Mortelette avant d’ajouter : « C’est une région qui s’est développée autour de l’extraction et, une fois que la production extractive s’est terminée, on a eu l’impression que c’était la fin du territoire. On voit que ce n’est pas tout à fait vrai : il y a eu des choses avant et il y a d’autres référents identitaires possibles. Les personnes qui vivent là ne se retrouvent pas uniquement dans le minier et il y en a même qui ne s’y retrouvent pas du tout. »

Concernant l’effet « Bilbao » évoqué plus haut, il est à l’heure actuelle difficile de donner tort à la géographe Camille Mortelette. En effet, de 2008 à 2019 (date du dernier recensement), Lens fait montre d’une remarquable stabilité en fait de catégories socio-professionnelles. L’INSEE relève ainsi en 2008 3.6% de cadres et professions intellectuelles supérieures parmi la population lensoise, contre seulement 4.1% en 2019, soit onze ans après ; 9.8% de professions intermédiaires en 2008 contre 9.1% en 2019, 15.8% d’employé.es contre 16.6 en 2019 et 16.9% d’ouvrier.es en 2008 contre 15.9 en 2019. Cette étonnante stabilité montre que le Louvre-Lens n’a, en sept ans d’existence (de 2012 à 2019), pas eu l’effet escompté en termes de redémarrage économique. Le taux de chômage semble même avoir augmenté, passant de 14.5% de la population en 2008 à 18.8% en 2019 (source : INSEE, géographie au 01/01/2022). Sans doute ces chiffres sont-ils à relativiser : les ambitions rappelées plus haut sont hautes et nécessitent du temps.

L’épineuse question de la diversification des publics

L’objectif de la fréquentation du musée par des publics dits « éloignés » ou « empêchés » semble avoir infléchi les choix d’exposition depuis l’arrivée de Marie Lavandier. C’est ainsi qu’elle a eu l’idée d’expositions thématiques, à rebours des tendances actuelles, et avec des thèmes auxquels chacun et chacune peut s’identifier, comme « Intime et moi » ou « les Tables du pouvoir » : « Après quatre années d’expérience et à l’occasion de l’écriture du nouveau Projet scientifique et culturel (PSC) du musée, j’ai souhaité impulser une nouvelle dynamique d’expositions thématiques qui ont permis d’affirmer l’identité de ce “Louvre autrement” », nous a-t-elle indiqué. Ainsi, en 2021, 23% des visiteurs et visiteuses auraient été des employé.es et ouvrier.es (contre 13% en moyenne dans l’ensemble des musées selon l’enquête 2020 « À l’écoute des visiteurs » du Ministère de la Culture).

Il serait toutefois un peu hasardeux de crier ainsi victoire, selon Camille Mortelette : « Il est normal qu’un musée à Lens ait plus dans ses visiteur.ses d’ouvrier.es et d’employé.es qu’un musée à Paris, parce que, sociologiquement parlant, il y a plus d’ouvrier.es et d’employé.es dans le Bassin minier et dans les Hauts-de-France », nous a-t-elle confié.

Il n’empêche : le désir de « faire un Louvre autrement », pour reprendre les termes de Marie Lavandier, informe le Louvre-Lens depuis sa conception même. C’est là le rôle joué par la Galerie du temps, espace d’exposition du musée le plus fréquenté, mais aussi de sa pluridisciplinarité : la Scène, qui accueille des spectacles et concerts, permet de diversifier les propositions, tandis que son parc compte des visiteurs et visiteuses différent.es de cell.eux du musée. Le travail semble donc entamé, mais du chemin reste à parcourir.

[1] Autrice d’une thèse sur le sujet : Reconversion d’anciens sites miniers en lieux culturels Enjeux territoriaux et appropriation dans le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, Université d’Artois, 2019

 

Visuel : © Musée du Louvre-Lens – Frédéric Iovino

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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