Politique culturelle
Rencontre avec Héloïse d’Ormesson : “La hausse de la TVA sur les livres est un grain de sable qui va gripper un système au ralenti”

Rencontre avec Héloïse d’Ormesson : “La hausse de la TVA sur les livres est un grain de sable qui va gripper un système au ralenti”

02 February 2012 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Héloïse d’Ormesson est à la tête des éditions éponymes. Depuis l’automne 2011, elle milite  contre la hausse de la TVA qui augmente de 1,5% ce qui peut paraitre minime mais pourrait éventuellement causer dirait-on la mort de la librairie. Rencontre.

Vous êtes en lutte contre hausse de la TVA sur les livres
C’est quelque chose qui a commencé au mois de novembre et c’est aujourd’hui qu’il y a plusieurs manifestations. Ce qui est un peu paradoxal c’est que ce n’est pas l’augmentation de 30 centimes sur le livre qui va bouleverser toute la chaine de l’édition.

Quel est le problème ?
Il y a deux problèmes. D’une part le prix du livre est fixé par l’éditeur et non pas par le libraire, donc, nous allons répercuter cette hausse de la TVA et chaque éditeur la répercute comme bon lui semble. Personne ne lui impose de la traduire au centime prés.

Est-ce que ce prix intervient sur la quatrième de couverture ?
C’est l’éditeur qui fixe le prix. Pour tous les livres qui sont déjà parus, tous les livres dont les prix ont été fixés avant la hausse de la TVA, là encore, ce sont les éditeurs qui décident. Nous avons fait le choix de proposer des prix ronds. Nous avons décidé de répercuter la hausse au centime prés. Ce qui veut dire que le libraire va avoir dans sa librairie un prix facial différent du prix réel. La profession ne s’est pas mise d’accord sur la façon d’appliquer cette hausse, ça va être au libraire de faire de la pédagogie pour expliquer au client que le prix affiché n’est pas le prix à payer, contrairement à ce qui est imposé par la loi.
On parle d’un secteur qui est en difficulté. Sans faire de généralités, le libraire souffre, il y a moins de fréquentation en librairie, c’est déjà un problème, des perspectives de complications qui sont inutiles envers une profession qui est déjà assez démoralisée, assez affectée. C’est un grain de sable qui va gripper un système au ralenti.
Le livre, le libraire peut le retourner. C’est une chance et une non chance. Cela permet au libraire de prendre des risques et de commander ainsi des nouveaux romans. Que se passe-t-il quand un libraire a commandé à 5,5% de TVA un livre et qu’il le retourne à 7% ? Personne n’est d’accord sur qui doit payer, là, 30 centimes multipliés sur tant de livres du fonds, cela peut avoir des répercussions dramatiques.
Evidemment, quand le gouvernement a pris la mesure d’augmenter la TVA, il n’a pas pensé au cas particulier de la librairie et de l’édition. Un médiateur a été nommé mais ni le syndicat de la librairie, ni le syndicat de l’édition ne se sont opposés à cette hausse.

Pouvez-vous expliquer les contraintes imposées au libraire ?
Le libraire devra faire face à des clients qui vont lui dire « vous me dites que mon livre vaut 18€ 14, mais sur mon livre il est écrit 18 €. Normalement, une affichette sera apposée dans les librairies pour expliquer. Ce qui est navrant c’est l’absence de concertation de cette filière. En rédigeant cet éditorial (ndlr : « Le livre menacé par la crise », L’Humanité, 22 décembre 2011) avec Sylvie Gouttebaron, Francis roux, Jean-Yves Masson, Régis Pecheyran et Yannick Poirrier, nous avons voulu pousser un cri d’alarme et que chacun se sensibilise et se mobilise parce que tout le monde reste dans son coin. Ce sont des métiers d’individus, très individualistes. Il n’y a pas besoin pour être un bon libraire d’être en lien avec ses confrères. Aucune position commune n’a été mise en place. La mobilisation arrive un peu tard.

Tout de même, la loi devait entrer en vigueur en janvier et elle est reportée au mois d’avril.
Oui, car elle était inapplicable. Pour nous, nous avons six ans d’existence, 170 livres au catalogue. Réexaminer cette liste nous a demandé une heure de travail. Pour des maisons comme Gallimard, on parle de milliers de titres. Il faut revoir toute la grille des chiffres, la comptabilité.

Vous comprenez l’esprit de cette loi ?
Oui, on fait passer tout ce qui était à 5,5 à 7, cela semble indolore. Sur le principe, je comprends. Très vite, j’ai mesuré à quel point sur le livre cela va générer un gain fiscal dérisoire, on parle de 60 millions d’euros, à chiffre d’affaire constant. D’après mois, c’est une création destructrice.

Vous parlez de chiffre d’affaire constant. En parallèle de cette hausse, on note une baisse de la TVA sur le livre numérique.
Peu de gens l’ont souligné. Cela est troublant. La symbolique était forte. C’est le hasard du calendrier mais cela donne l’impression qu’il y a le monde de l’édition traditionnelle, les fossiles qui sont plus imposés et le progrès qui est allégé.

Vous travaillez avec le livre numérique ?
Oui. On va numériser nos livres. Tout ce qui permet le développement de la lecture est un bienfait. Cela va démultiplier le nombre de lecteur. Le problème, c’est qu’on peut vendre des livres numériques sans être libraire. Un livre n’est pas qu’un produit. Il y a besoin d’être accompagné pour choisir un livre et avoir le plaisir de découvrir de nouveaux auteurs et de nouveaux titres. Une librairie est un lieu culturel et un lieu de rencontre. Cela fait partie d’un art de vivre qu’il me semble important de préserver.

Est-ce que cette décision est réversible ?
Il faut que la loi soit annulée, abrogée avant les élections. Car si cela passe, une fois le travail de titan réalisé, le défaire serait une double peine. Des amendements doivent être déposés par Hervé Gaymard et Aurélie Filippetti dans les prochaines semaines.

Visuel : (c) Copyright Sandrine Roudeix.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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