Politique culturelle
Quelles perspectives pour l’histoire de l’art : Interview avec Alain Schnapps

Quelles perspectives pour l’histoire de l’art : Interview avec Alain Schnapps

03 June 2013 | PAR Fatima-Ezzahrae Touilila

festLa troisième édition du festival de l’histoire de l’art de Fontainebleau  a été l’occasion   de nous interroger sur l’état des politiques culturelles en direction de l’histoire de l’art aujourd’hui. Alain Schnapps, professeur d’archéologie à l’université Paris 1, et président du conseil scientifique du festival depuis sa création, a accepté de répondre à nos questions.

Mr Schnapps vous qui avez vu naître et se développer ce festival, avez-vous enregistré des changements notables, “un soutien” prononcé, comme le répète la ministre, depuis l’arrivée de la nouvelle équipe dirigeante? 

Je ne vous cache pas  que notre  plus grande victoire cette année a été que le festival continue d’exister dans une période de resserrement budgétaire et de coupes drastiques. Pour le reste, nous attendons de nouvelles décisions. C’est lent, et  le problème qui nous préoccupe en ce moment, ce sont les coupures budgétaires, qui touchent les musées et les universités. C’est inquiétant de voir qu’un  certain nombre d’emplois vacants ne se libèrent pas, et que les jeunes chercheurs ne peuvent pas être recrutés dessus. Si on s’engage dans une politique de gel de l’emploi public dans le secteur recherche et conservation, le futur s’annonce sombre : le pays n’a pas atteint son étiage en matière de chercheurs et de conservateurs. Regardez le Metropolitan Museum, ou le British vous avez deux fois plus de conservateurs qu’au Louvre ou dans n’importe quel autre grand  musée français. Au niveau des professeurs, c’est le même problème, notre retard est constant par rapport à l’Allemagne… il  nous faut des gens pour continuer d’entretenir, de diffuser…

Vous parlez d’entretien, de conserver certains acquis, mais qu’en est-il du renouveau, de la recherche soutenue de l’innovation dans le domaine de l’histoire de l’art ?

Je pense que le problème est originel et réside dans le fait que l’histoire de l’art n’a toujours pas trouvé de place dans l’enseignement secondaire, l’Italie est l’un des seuls pays qui donne toute sa place à l’histoire de l’art, la France s’y essaye, depuis 20 ans et n’y arrive pas.

Comment expliquer  cet échec “renouvelé”?

A  mon sens, on peut l’attribuer à une gestion extrêmement tatillonne des grands  corps de l’inspection générale et peut être au refus des autres disciplines à faire une place à l’histoire de l’art.

On parle d’un public toujours plus large, 15 000 visiteurs en 2011, 18 000 en 2012, et des quelques  20 000 visiteurs qui sont attendus cette année. Mais qu’en est-il de la composition de ce public?

Nous n’allons pas nous mentir, le public qui fréquente le festival reste tout de même assez homogène, et cela est dû, au fait que dans des périodes de restrictions budgétaires on doit rogner sur un certain nombre de choses, les actions en direction du public sont parmi les premières à souffrir de ça.

Mais en même temps, ne faudrait-il pas développer des initiatives privées, de décentraliser ce domaine, d’impulser des initiatives, plutôt que d’en rejeter l’entière  responsabilité au Ministère de la Culture?

Si, mais il faudrait avoir un  tissu associatif important. Il y a certes quelques associations, la fondation Pinault qui s’est lancée là-dedans, fait du bon travail, mais il en faudrait beaucoup plus. Si vous voulez, là où les fondations en Allemagne et en Angleterre donnent 1 euro, en France on donne 10 centimes. Il y a un différentiel entre ce que fait le secteur public et ce que fait le secteur privé  pour la diffusion de l’art qui est abyssal.

Selon, cette distance, ne tient-elle pas au rapport “très particulier” entre le secteur privé et public en France ?

Très certainement et pour cause  notre centralisme tient, à une certaine défiance réciproque, mais aussi, je pense, à un manque d’intérêt pour l’histoire de l’art d’un certain nombre de nos chefs d’entreprises. Ceux que j’ai contacté  leur demandant d’offrir des bourses pour les jeunes, qui veulent poursuivre la recherche dans ce domaine, me répondent “des bourses? Moi je n’en donne pas, je donne de l’argent pour les films ou les expositions mais les bourses c’est à l’Etat de le faire”. Alors qu’aux Etats-Unis ce genre de demande n’aurait pas rencontré les  mêmes réactions.

Venons-en au Royaume-Uni, que vous avez choisi de mettre à l’honneur pour cette troisième édition, en quoi  l’histoire de l’art anglaise, et les institutions qui gravitent autour, peuvent-elles être une source d’inspiration? 

Le Royaume-Uni l’est à plusieurs égards, dans les rôles interchangeables entre les historiens et les conservateurs, à la différence du cloisonnement qui règne en France. Tant que les docteurs n’auront pas accès sur dossier au patrimoine des musées nationaux, il y a quelque chose qui ne fonctionnera pas dans notre système de circulation des idées et des personnes. Et cela nos collègues l’ont bien compris. Je dirais aussi que la singularité anglaise réside dans des rapports avec le privé que nous n’avons jamais réussi à établir. Ils disposent d’une perméabilité entre  les secteurs, qui a donné une figure particulière à l’histoire de l’art anglaise, plus proche des œuvres, des collections et plus fusionnelle entre les professeurs et les conservateurs. Ernst Gombrich est autant autrichien qu’anglais, et aujourd’hui aucun historien de l’art  ne peut se vanter d’avoir tiré 1 million d’exemplaires.

L’agenda culturel de la semaine du 3 juin 2013
Balmain, l’ode couture de l’été
Fatima-Ezzahrae Touilila

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