Politique culturelle
Le festival Horizon affine les relations européennes et mondiales, entretien avec Monica Guillouet-Gélys

Le festival Horizon affine les relations européennes et mondiales, entretien avec Monica Guillouet-Gélys

25 April 2013 | PAR Marie Boëda

Au bord du canal Saint-Martin dans le 19e arrondissement de Paris, Monica Guillouet-Gélys, directrice du théâtre la Filature à Mulhouse et initiatrice du festival Horizon, a accordé à toutelaculture une interview. Le festival Horizon est le regroupement de deux temps forts de la scène de Mulhouse, entre théâtre français/allemand/suisse et danse contemporaine et performance avec un regard transfrontalier et transeuropéen. Elle nous présente la 1ère édition de ce festival et nous parle de son métier passionnant de directrice de théâtre. Ancienne danseuse et contrebassiste, Monica Guillouet-Gélys a touché à tout dans le monde de l’art vivant et nous fait part quelques instants de sa passion. 

En quoi ce festival a un regard transeuropéen ?

L’idée de ce festival est de se joindre à plusieurs structures transfrontalières à Bâle et Strasbourg et ensemble de soutenir des artistes européens ;  ça c’est le regard européen mais pas seulement, peut-être au-delà se mettre ensemble pour inviter un artiste coréen, japonais, américain, africain. Au-delà de l’Europe. L’idée c’est dans un premier temps avoir un regard sur l’Europe du Nord.

On le sent dans la programmation et les artistes invités

On retrouve un artiste slovène qui s’appelle Oliver Frljic, en fait il est serbe. La pièce parle des questions de l’identité, serbo-croates, de ces questions transfrontalières.

J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de questions d’identité dans les thèmes des spectacles du festival.

Il se trouve que c’est dans l’actualité artistique. Ensuite il y a une invitée polonaise, Martha Gornika, on l’a repérée au festival Première qui a lieu à Strasbourg. L’idée c’est de repérer un artiste qui fait une première mise en scène à Première et de l’accompagner pour une deuxième mise en scène pour Horizon.

Qu’est-ce qu’elle fait ?

C’est une metteur en scène polonaise qui travaille sur le chœur. Il n’y a pas de décor, une lumière un peu brute et des corps. La première pièce qu’elle avait présentée s’appelait Magnificat. C’était 23 femmes d’âge et de morphologie différentes. Une espèce d’oratorio où les femmes parlaient de leur vie, de la société. Là, ça s’appelle Requiem Machine, ça sera mixte, mais toujours avec l’idée du chœur. Ce qui fait nombre c’est la force, ils seront 24.

Et vous avez un ajout, les arts numériques ou la performance ?

A la Filature il y a plusieurs plateaux et il y a une grande galerie. Pour le moment dédiée à la photographie d’art et traditionnelle. De plus en plus on voulait faire une proposition avec des artistes photographes vidéastes qui questionnent l’image d’une autre manière. C’est en ça que les arts numériques arrivent ; c’est un traitement différent de la photo avec des gens comme Cyril Hatt comme Jacques Perconte, Nicolas Lelièvre qui ont un vrai regard sur la photo.

Par exemple ?

Le travail de Cyril Hatt consiste à photographier sous toutes les coutures un objet et une fois qu’il a imprimé les photos en petit format, il reconstitue l’objet en scotchant et agrafant ses photos. On a vraiment l’impression que c’est l’objet en 3D. Il peut le faire avec n’importe quoi, avec un lampadaire, une voiture…

Et il y a un lien transfrontalier dans les artistes invités ?

Il devrait,  pour l’instant on défriche, c’est la première édition. Ces artistes sont des artistes qu’on connaissait déjà qu’on invite à venir tester un territoire. L’idée c’est ça mais en même temps on ne veut pas s’enfermer. On veut constituer un réseau de programmateurs, faire circuler les artistes, le public.

Tout type de public ? ll y a des spectacles pour les enfants ?

Pas vraiment mais il y en a avec. Le spectacle avec des pré-ados avec Gob Squad, compagnie berlino-anglaise. Ils sont déjà passés à la Villette. Ils ont mis en scène des enfants, ils étudient le monde d’aujourd‘hui un peu comme dans un zoo. Il s’inscrit dans la lignée d’un travail qu’avait fait Rimini Protocole au Paris Villette où ils avaient observé des enfants qui vivent dans un aéroport, qui sont tout le temps trimbalés, les enfants d’expatriés. Ils ont imaginé que les enfants s’installaient dans des containers et que chacun se créait son espace à lui, son espace intime, sa chambre.

Et pour le théâtre ?

La réunification des deux Corée de Pommerat. C’est sur les relations amoureuses, toutes les situations possibles de l’amour naissant, de l’amour qui se termine, la rupture, l’amour filial.

Qu’en pensez-vous ?

Pour moi, c’est un des plus beaux textes qu’il a écrit. Le titre veut tout dire : la difficulté d’aimer. Cette difficulté à être proche et en même temps ennemi, voisins si semblables et en même temps se détester et s’assassiner. Je trouve ça très beau, en plus la forme du spectacle c’est deux tribunes qui se font face. Ce spectacle fait partie du festival même s’il aurait pu être ailleurs dans la saison mais là ça crée un appel par rapport à un festival comme celui-là ; il a complètement sa place, c’est un metteur en scène européen par excellence Pommerat, il est défendu par tous ces pays.

Et en danse ?

En danse on aura Mikael Clark, chorégraphe anglais, qui vient de la danse classique, néoclassique. II a une écriture chorégraphique très léchée avec de très beaux danseurs. Il fait un hommage à David Bowie mais son spectacle n’est pas du tout trash ; il utilise cette énergie de David Bowie pour trouver des costumes et des maquillages étonnants. On aura aussi un américano-belge Daniel Linehan assez connu et le couple Delgado Fuchs avec sa nouvelle création.

Donc théâtre performance danse arts numériques. Il y a énormément de festivals en France, en quoi est-ce qu’il va se démarquer ?

Dans l’Est en particulier à ce moment-là il y a d’autres festivals Sarrebruck, Perspective, Première, Strasbourg (Pôle Sud), il y en a de l’autre côté de la frontière. L’idée n’est pas de se différencier, on va forcément retrouver des artistes puisque l’actualité théâtrale et artistique du moment. On est sur des lignes relativement proches. On monte la création contemporaine dans ce qu’elle a de plus décoiffant, émergent Gob Squad on va les retrouver à Sarrebruck par exemple. Si on se regroupe on peut avoir de grands metteurs en scène, utilisons la force collective. L’idée c’est qu’à cet endroit-là il manquait quelque chose. Aux trois frontières avec l’Allemagne et la Suisse, travaillons sur ce public-là,  il y a de quoi faire…

Cela fait un an que vous êtes directrice de la Filature, qu’est-ce que vous souhaitez apporter, y-a-t-il des idées qui vous animent particulièrement ?

Faire découvrir à la population de Mulhouse et sa région les grands auteurs et les metteurs en scène d’aujourd’hui. Ça va d’Ostermeier à Lepage en passant par Simon Mcburney, Pommerat et en même temps faire du travail sur le territoire auprès des publics avec des artistes associés, des actions culturelles.

Comment ça se passe, comment l’organisez-vous ?

Tout ça s’organise notamment par des temps forts du type festival. Il y un autre festival Vagamondes en janvier, ça fait beaucoup de boulot, mais le public suit. Ce n’est pas des grandes jauges on est sur 50, 100 places. Il y a un public pour ça, un public curieux de choses pointues. Et puis il y a un public qui ne l’est pas encore et qui va le devenir puisque c’est la proposition qui le rend curieux.

Vous avez été danseuse et musicienne, est-ce que ça change votre manière d’aborder votre métier ? Le rapport aux artistes, la programmation…

Non, ça fait 25 ans ! Je sais ce qu’est un artiste, le monde de l’art et du spectacle a vraiment évolué depuis. J’ai peut-être gardé un côté plus intuitif et sensible que d’autres collègues. Je sais regarder un spectacle, je sais me laisser imprégner par un spectacle. Je peux imaginer par quoi les artistes passent quand ils font une création.

Vous avez été avant directrice d’un théâtre à Paris ?

En 1989, j’ai dirigé un théâtre dans une commune du Val de Marne à Bonneuil pendant 11 ans où j’ai tout appris du métier de la direction de lieu. Je n’étais d’ailleurs pas la seule à apprendre puisque c’était une époque nouvelle où toutes les conventions de développement étaient naissantes, il y avait de vrais budgets, vraies politiques culturelles, c’était l’époque Lang, la célébration du bicentenaire de la révolution française, des mannes de budgets pour les communes qui en ont profité pour se doter d’une politique culturelle.

Et dans le théâtre que vous dirigiez à l’époque ?

C’est ce qui s’est passé pour le théâtre de Bonneuil, enfin la salle des fêtes ! Elle a été rénovée et l’équipe d’architectes choisie a tiré le projet vers un théâtre et cinéma, c’était un peu le souci puisque c’est difficile de cohabiter dans la même salle et de développer un cinéma commercial et en même temps accueillir des artistes en résidence, leur permettre de répéter sans les interrompre pour une séance de cinéma.

La filature est un théâtre public, est-ce que vous travaillez avec le maire dans le sens des politiques de la ville ?

Oui, c’est ce qui fait la différence d’une ville à l’autre, les politiques culturelles ne sont pas forcément les mêmes, mais moi je n’ai jamais vu la différence entre un maire et un autre. A partir du moment où un maire a décidé d’avoir une politique culturelle et de faire que la population ait accès à l’art. Tout dépend du territoire de la population, des relais, de ce qu’on peut mettre en place pour toucher les gens.

Les maires sont en général encourageants ?

Je n’ai jamais vu un maire dire il ne faut pas faire ci, pas faire ça, à partir du moment où ils ont choisi un directeur ils sont derrière, ils soutiennent. Ça rentre forcément dans les politiques de la ville. En ce moment à la Filature on accueille Zingaro, c’est un souhait de la politique de la ville. La Filature ne l’aurait pas programmé seule mais on a le savoir-faire pour le porter donc on l’a fait. Et ça fait rayonner tout le monde, on a tous intérêt à ce que la ville soit la plus attractive possible.

Vous est-il arrivé de rencontrer des blocages au niveau de certains financements de création ?

Il y a des contraintes budgétaires. Une fois que les budgets sont définis, on sait à peu près à quoi s’attendre. Ça a été le cas dans presque toutes les villes dans lesquelles je suis passée..

Une question plus personnelle, qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier ?

C’est de l’humain, après il y a tout un aspect gestion, organisation, sens pratique qui est agréable. C’est des jeux de lego. Parfois on a envie d’envoyer tout péter ! Je me fâche avec des compagnies ou je me fais engueuler, là je viens de me faire engueuler par une compagnie… Mais en même temps ça fait partie du jeu ! Ce qui me passionne, j’ai encore cette naïveté à me laisser impressionner et émouvoir par du théâtre donc déjà c’est pas mal.

En en danse et en musique aussi ?

Bien sûr autant les deux puisque j’étais contrebassiste et danseuse contemporaine. Par exemple le spectacle de Pommerat m’impressionne beaucoup, m’émotionne, m’émeut, me touche. Ce sont des grands moments de plaisir.

Et les meilleurs moments ?

Après le plus grand plaisir que j’ai, c’est quand moi j’ai ressenti ça et que le spectacle arrive dans le lieu que je dirige je vois le public pendant, après et ça c’est le bonheur… Et puis sur Zingaro c’est un spectacle populaire, le public, ce n’est pas les abonnés de la Filature c’est un public plus large, les gens ont la banane en sortant ça fait du bien. Même de savoir que j’y ai participé, ça a soudé des gens, ça a créé des liens entre plusieurs équipes, c’est de l’humain.

Qu’est-ce que vous attendez du festival Horizon ?

On a vraiment envie que ça soit vécu comme un festival. Pendant 10 jours toutes les salles de la Filature vont être occupées jusqu’au dernier soir où il y aura un dancefloor avec Rubin Steiner. Il va y avoir une conférence, des rencontres après tous les spectacles, qui seront surtitrés. J’ai envie que les gens le vivent comme une espèce de fête : je prends un pass, je ne sais pas ce que je vais voir mais j’y vais, il n’y a pas la contrainte financière aussi importante que d’habitude, je passe un moment, il va y avoir de la restauration, on va pouvoir vivre là pendant une semaine. J’espère qu’il fera beau et que les gens auront envie de venir. Ce côté festif, dans festival il y a fête…

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