[Interview] May Skaf “Puis un jour, ils sont venus brûler mon théâtre. Mais j’ai quand même voulu rester”
Le 7 octobre une rencontre orchestrée par le Fonds Roberto Cimetta, l’Office national de diffusion artistique, le Syndeac et l’Institut du monde arabe se tiendra dans ce dernier à 18H. On pourra entendre les témoignages d’artistes en exil. Fadi Yazigi, artiste plasticien syrien, Hanan Kassab Hassan, professeur et opératrice culturelle syrienne, Sana Yazigi, graphiste syrienne, Hala Omran, actrice syrienne et May Skaf, actrice syrienne qui a accepté de répondre à nos questions dans le cadre du Dossier Résistance de la rédaction.
Est-ce que May Skaf est votre nom de scène?
Non, May Skaf est mon vrai nom. Skaf n’a pas vraiment de signification mais Skafy c’est comme cela qu’on appelle les cordonniers en Syrie. Skaf vient donc peut être de là… Partout en Syrie, au Nord comme au Sud les gens portent ce nom. Et puis il y a aussi bien des musulmans que des chrétiens qui s’appellent Skaf. Par exemple, tout le monde pense que je suis chrétienne alors que non. Seule ma mère l’est, mon père est musulman lui. Ce nom a été très pratique pour moi au début de la Révolution quand j’ai décidé de prendre position contre le régime. Les gens pouvaient être sûrs que je n’étais pas islamiste.
En Syrie vous étiez une actrice?
Oui, j’avais mon propre théâtre. Là-bas on peut travailler partout: au cinéma, à la télévision, au théâtre. Mais comme on ne peut pas gagner sa vie en montant seulement sur scène alors j’ai décidé de créer mon propre théâtre. C’était un institut pour apprendre l’art dramatique et s’exercer à jouer des pièces. J’ai aussi tourné dans des films, à la télévision. Mais c’est dur d’être actrice en Syrie parce qu’il y a moins de productions qu’ici.
Quand est-ce que vous vous êtes engagée?
Au début de la Révolution en 2011 à Dahala, les habitants ont été jetés dans les rues, il n’y avait plus d’électricité, plus de lait pour nourrir les enfants… Alors les intellectuels et les artistes, les personnes cultivées, ont fait une déclaration pour que le régime cesse le siège de Dahala.
C’est après cette lettre que vous avez été envoyée en prison?
Oui.
Pour une lettre ?
Oui. Après cette déclaration ils ont donné mon numéro de téléphone à des personnes qui travaillaient dans les milices pro-Assad. Alors elles m’appelaient et me disaient des grossièretés comme “tu veux du lait?”. J’étais dégoutée. Alors j’ai changé de téléphone plusieurs fois. Après ils ont mis ma ligne personnelle sur écoute et m’ont interdit de sortir et de voyager. Je subissais une vraie pression. Et comme mon visage est connu en Syrie, j’étais sans cesse contrôlée. Ils ne voulaient vraiment plus que je m’exprime. Alors ils ont fait une déclaration pour nous empêcher de travailler. Mais sans passer par des voies officielles, ils ont demandé aux associations, aux sociétés de production, aux entreprises qui soutiennent le régime de ne plus nous donner de travail. Puis un jour, ils sont venus brûler mon théâtre. Mais j’ai quand même voulu rester. J’avais beau être contrôlée, ne plus avoir le droit de travailler, de me déplacer, j’ai résisté trois ans. Ils n’osaient rien me faire parce qu’ils prétendent lutter contre les terroristes et que je n’en suis pas une.
Pourquoi avez-vous été interpellée la deuxième fois?
A Damas, nous, les artistes et intellectuels avons décidé de faire une manifestation. Pour montrer que nous soutenions la population opprimée. Mais nous nous sommes fait arrêtés et nous avons été accusés d’aider les terroristes. Alors que ma première arrestation avait duré quatre jours celle-ci a été encore plus difficile. Le régime de Bashar Al Assad a envoyé des bus de milices à la sortie du Palais de Justice. Les miliciens nous ont alors lancé des œufs et des pierres, avant de nous cracher dessus. C’était la première fois que j’ai eu vraiment peur. Vraiment. C’était affreux. Puis dans une grande usine à Dahala ils ont collé nos têtes sur des portraits de prostitués à gros seins. Ils ont collé ce montage juste au-dessus de l’ascenseur des employés, parce que nous étions un groupe qui luttait contre ce blocus qui empêchait de faire du lait et qui tuait des enfants, des innocents, des Syriens. Ma dernière interpellation a été encore pire: Des personnes m’ont menottée et m’ont attachée avec une corde comme on faisait aux esclaves. Ils m’ont aussi bandée les yeux. J’ai été envoyée une nouvelle fois en prison.
Comment êtes vous arrivée en France ?
Ça fait un an que je suis arrivée en France. Je suis sortie de la Syrie par les montagnes en voiture, comme si j’étais une criminelle. Alors qu’il y a une heure et demie de route pour aller jusqu’au Liban, j’ai mis 9 heures pour aller de Damas jusqu’à Beyrouth. Je suis restée là bas un mois, sans travail, chez ma nièce. Ma mère m’a ensuite envoyée mon fils. On a essayé de rejoindre la Jordanie mais c’était compliqué aussi: Je suis restée au chômage pendant deux mois là-bas, puis je suis arrivée en France en avion grâce à l’ambassade.
Vous cherchez à travailler ici ?
Oui, j’ai besoin d’un travail, mon fils est au lycée. C’est dur pour lui parce qu’il parle seulement l’anglais. Mais j’ai atteint le but que j’avais quand je suis arrivée en France: mettre mon enfant à l’école. Maintenant, il faut que je travaille. Que ce soit n’importe quoi, mais j’ai besoin de travailler pour vivre.
Vous pensez pouvoir retourner en Syrie?
Oui, c’est mon pays. Là-bas, j’ai ma carrière, mon théâtre, ma vie. Je suis syrienne, j’avais une situation là-bas. En France je n’existe pas. Je veux continuer à vivre en Syrie mais avant il faut que ce régime chute.
Visuel : ©Amélie Blaustein Niddam
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