Politique culturelle
Florent Héridel : “Ma vision du spectacle vivant c’est d’être le plus pluridisciplinaire possible”

Florent Héridel : “Ma vision du spectacle vivant c’est d’être le plus pluridisciplinaire possible”

20 June 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Florent Héridel est le nouveau responsable de la programmation du MAIF Social Club. Il succède à Chloé Tournier. Rencontre avec un fou de culture.

Qu’est-ce que vous faisiez avant d’arriver ici ?

J’étais l’attaché culturel de l’Institut Français en Hongrie, et globalement j’ai eu beaucoup de fonctions dans le cadre de la coopération culturelle à l’étranger pour le ministère des Affaires étrangères. J’ai travaillé aux États-Unis, à Madagascar, j’ai travaillé et à l’Institut Français à Paris, et j’y étais à Budapest comme attaché culturel. Le lien qui se faisait entre le MAIF Social club, que je connaissais, et l’institut français en Hongrie c’était tout ce travail autour de comment faire pour que la création contemporaine parle de débats d’idées. En Hongrie c’était naturellement plutôt les questions d’État de droits, les questions de diversité, d’inclusion, un petit peu les questions de développement durable, mais on essayait d’avoir une programmation qui était plutôt politique sur la question du vivre-ensemble. Et ici, cette démarche est un peu la même; quand on parle de voyage, évidement on a une superbe exposition avec le regard d’une douzaine d’artistes contemporains, mais en fait ce dont on parle aussi c’est comment repenser nos voyages à l’aube de la crise climatique, comment consommer mieux, on est vraiment sur des questions de développement durable et sur des questions de diversité.

Le MAIF Social club est un lieu qui se redessine à chaque fois au point qu’il devient méconnaissable. Je voulais savoir si c’était quelque chose que vous vouliez pérenniser ?

Bien sûr, je m’inscris dans la continuité de ma prédécesseure Chloé Tournier. Elle travaillait aussi dans le domaine de la coopération culturelle. Je vais continuer à thématiser les programmations. Il y aura deux sujets par an, des scénographies très immersives.

Pourquoi insister sur ces scénographies immersives ?

Parce que c’est un lieu qui travaille beaucoup sur la questions des médiations. Notre volonté est donc d’être en contact avec le public, avec tous les publics : les établissements scolaires, le public qui est très intéressé par l’art contemporain, celui qui n’y connaît rien… C’est aussi un champ de la création qui est finalement assez méconnu, qui peut parfois faire peur. Ces scénographies immersives permettent à tout le monde de se sentir bien accueilli, à tout le monde de revenir très régulièrement dans le lieu pour savoir ce qui s’y passe.

Ce rapport ludique à la création permet de susciter le bonheur chez les visiteurs, quel que soit le discours qu’on est en train de tenir, et quelles que soient les œuvres qu’on est en train de montrer.

Pour moi, c’est absolument essentiel de garder cette démarche. Avec le jeune public c’est flagrant. Par exemple, en entrant dans Prendre la tangente, les enfants disent « Oh ! On est dans un avion ! ». C’est un outil pour aller plus loin, nous les amenons à regarder l’œuvre des Orta. On va leur parler de migrations avec Godinho… Ces scénographies très immersives donnent envie au public de revenir.

Comment faites-vous, pour passer à l’exposition suivante avec un lieu qui est toujours en mouvement ?

Nous commençons à penser nos programmations un an à l’avance. D’abord, on cherche la thématique, celle qui va nous permettre d’incarner ces questions de valeurs de développement durable et de vivre-ensemble ensemble chères au MAIF Social Club.

Donc la scénographie succède au thème ?

Oui, en premier vient le thème, puis le choix d’un ou d’une commissaire de l’exposition et ensuite le ou la scénographe.

Chose rare, chez vous un commissaire et un scénographe sont toujours associés.

Tout à fait et effectivement ce n’est pas si régulier. De façon plus classique, les institutions travaillent avec des scénographes qui sont un peu habitués au lieu. La particularité du MAIF Social Club est d’être hybride. Très rapidement, la première question qui est posée au commissaire, avant même le début du travail sur la liste des œuvres, c’est de savoir qui sera le ou la scénographe et vers quelle scénographie on veut s’orienter.

Le MAIF est censé être un lieu de vie, un lieu d’accueil. Nous pouvons y passer vraiment toute la journée sans avoir aucun code culturel préalable.

Tout à fait, le MAIF Social Club est un lieu ouvert à tous et totalement inclusif. Je dirai même que ce qui nous intéresse, c’est d’être le lieu le plus inclusif possible. La visite de l’exposition n’est pas obligatoire. C’est notre travail de faire en sorte que le public se sente le mieux accueilli possible dans l’endroit le plus bienveillant possible.

Justement, vous portez une attention très fine à l’accompagnement.

Dès l’entrée, des chargés des relations sont là pour vous accueillir. Il vont procéder à une enquête légère en vous demandant si vous connaissez le lieu et la raison de votre venue. Cela permet de vous orienter au mieux, sans que jamais vous ne vous sentiez obligé de faire quelque chose. L’espace comporte un concept store avec des produits écoresponsables, un café où l’on peut boire et manger, un espace de coworking avec du wifi accessible à tout le monde, un lieu d’expo, un atelier… et tout ça est gratuit. La personne est libre de déambuler là où elle veut.

Maintenant que nous avons compris l’identité du MAIF social Club, parlons du futur. Quelle sera la grande exposition de la rentrée ?

À partir de septembre 2022, et jusqu’en juillet 2023, nous allons parler des forêts. Le titre de ce temps fort est « Le chant des forêts ». Il y aura une programmation en lien avec l’exposition. Pourquoi les forêts ? Parce que d’une part, c’est un thème qui est très large, qu’on peut aborder d’une manière poétique, scientifique, politique, sociale… Le chant des forêts sera un hommage à ce bel écosystème qui se nourrit seul, à ces racines qui permettent aux arbres de se parler les uns aux autres et de communiquer sur la venue d’un prédateur, de s’échanger des nutriments, ce genre de choses. Le principe de la canopée est un écosystème en soi, la manière dont la lumière permet aux arbres de pousser de manière différente. Mais au-delà de cet aspect écosystème et biologique, il y a la part symbolique de la forêt, celle des contes : Le Petit Chaperon Rouge, le loup, la sorcière… Dans la continuité de cette figure de la sorcière, nous posons la question de la forêt comme cachette. Les personnes recluses, le bois de tous les résistants. La forêt est un endroit où on se cache quand on est une personne exclue de la société, par exemple les SDF et les prostituées. Puis évidemment, nous mettrons en évidence la déforestation afin de parler des peuples autochtones qui luttent pour la sauvegarde de leur culture, puisque leur culture fait partie de la forêt. En miroir, nous essaierons d’agréger des outils nous permettant de limiter notre impact sur la déforestation à travers notre consommation.

Voilà une exposition qui prend son sujet par les racines !

Oui ! Ce sera poétique, politique et biologique (rires) !

Ce sujet appelle une scénographie d’enfer. On a déjà vu des arbres plantés au MAIF Social Club, j’imagine que vous allez nous emmener ailleurs.

Faire une forêt dans le lieu ça a déjà été fait et en plus c’est un peu trop évident. Donc on a envie de créer un espace muséal qui aurait été abandonné et que la nature est en train de reconquérir. Le scénographe est Benjamin Gabrié, il est connu pour avoir travaillé sur Le bruit des Loups d’ Étienne Saglio au Théâtre du Rond-Point; il en avait fait un mélange de forêt et de lieu théâtral.

Le MAIF Social Club est également un lieu de spectacles. Quelle sera votre ligne et quelles sont vos envies en matière de spectacle vivant ?

Ma vision du spectacle vivant c’est d’être le plus pluridisciplinaire possible : danse, théâtre jeune public, marionnette, et même… ombromanie. De façon générale, il s’agit de croiser, dans le cadre de l’exposition, avec le spectacle vivant. Je souhaite programmer un spectacle vivant qui parle de politique, qui parle de diversité, qui va toucher à la fois le public enfant et le public jeune, puisqu’on essaye aussi de cibler des pièces pour les lycéens, chose qu’on avait peu jusque-là.

Et au niveau des artistes, est-ce qu’il y a une volonté dans votre programmation de spectacle vivant, de faire découvrir, d’être dans l’émergence ou au contraire d’avoir des grands noms ?

Il y aura des grands noms et il y aura de l’émergence. Par exemple, il y aura Xavier Le Roy, qui en terme d’underground, est un artiste qui est reconnu à l’international mais pas du grand public. Il est l’un des grands créateurs de la non-danse.

Cela veut dire que vous avez passé une commande à Xavier Le Roy ?

Je connaissais et admirais le travail de Xavier Le Roy, je l’avais découvert à Budapest. Je l’ai rencontré et je lui ai parlé de la thématique. Nous avons décidé de montrer un travail qui a été très tourné et qui peut rentrer dans le thème. Dans son cas, le thème lui parlait et il avait une pièce adéquate.

Dans le milieu subventionné et encore plus quand il s’agit de la danse contemporaine, les spectacles sont joués 2 ou 3 fois… Pouvoir faire tourner les œuvres c’est essentiel.

Il me semble cohérent de changer nos habitudes de consommation, il me semblerait tout aussi cohérent de modifier nos habitudes de consommation culturelle. Ce n’est pas parce qu’une œuvre date d’il y a douze ans qu’elle ne peut pas être montrée. Au contraire, même. Il y a énormément de choses qui sont extrêmement intéressantes, mais qu’on ne montre plus au titre de « oui mais ça a déjà été montré à Avignon en 2014 ». C’est absurde parce que si on veut toucher, à un moment donné, un plus large public, si justement on veut arrêter d’avoir un spectacle qui est vu par les deux mille mêmes personnes tout le temps, il faut donc remontrer les choses.

Vous avez aussi envie de montrer d’autres formes.

Oui, il faut également offrir un espace à la nouvelle création avec d’autres disciplines pour qu’on puisse toucher d’autres publics. Et pour moi ça c’est essentiel, justement, pour qu’on sorte de cette dynamique « Il nous faut le spectacle qui a été présenté à Avignon l’année dernière ». Mais c’est aussi intéressant de proposer des choses qui ont déjà existé et dont on a entendu parler et qu’il est finalement rare de voir. Dans les spectacles qu’on va proposer, il y en a que j’ai vus il y a un petit moment et qui n’ont pas été rejoués depuis. Il faut éviter la “fast-fashion”, mais aussi la “fast-culture”! Et c’est au programmateur de prendre cette responsabilité parce que les artistes eux sont prêts à ressortir de leur répertoire des œuvres qu’ils ont créées il y a une dizaine d’années.

Visuel : ©Jean-Louis Carli / MAIF

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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