Politique culturelle
Arnaud Cathrine : “Les émancipées”, un festival de “licence poétique”

Arnaud Cathrine : “Les émancipées”, un festival de “licence poétique”

28 February 2017 | PAR Yaël Hirsch

Du vendredi 10 mars au dimanche 12 mars, Vannes accueille un nouveau Festival où littérature, musique et liberté ont la part belle. A l’initiative de Ghislaine Gouby, directrice de Scènes du Golfe, “Les émancipées” offre un florilèges de textes, de chansons et de perfomances qui fêtent la liberté et aussi les femmes. A l’affiche : Camélia Jordana, Raphaële Lannadère, Vincent Delerm, Véronique Ovaldé, Sarah Murcia, Arnaud Cathrine, Claire Diterzi, Florent Marchet, La Grande Sophie, Delphine de Vigan, Béatrice Dalle, Virginie Despentes, Emmanuelle Huynh… Alors que son projet Frère Animal est à sa seconde saison avec “Second tour” (et Florent Marchet), le conseiller artistique du Festival, Arnaud Cathrine a répondu à nos questions sur ce nouveau moment de libération par l’art en Bretagne.

emancipees

Lancer un Festival aujourd’hui, où les budgets régionaux et locaux baissent et où pas mal de festivals sont menacés ou obligés de fermer, est-ce un acte « d’émancipation » ?
Oui, bien sûr. Et de résistance revendiquée. C’est une envie affirmée par Ghislaine Gouby, directrice des Scènes du golfe. C’est elle qui est à l’initiative de ce festival. Nous nous sommes connus lorsqu’elle dirigeait un théâtre à Toulouse. Nous avons aimé travaillé ensemble, elle m’a fait confiance en me confiant une carte blanche à l’époque. J’étais aux anges quand elle m’a appelé pour imaginer avec elle un festival à Vannes. Tout part d’elle : de sa volonté, en tant que programmatrice, de pousser les murs, inventer, aller toujours plus loin sur les formes proposées au public de Vannes.

Pourquoi parler d’émancipation et pas simplement de liberté ? Clin d’œil aux Lumières ? Ou libération d’une oppression particulière ?
Vous le savez, nous vivons dans un monde de plus en plus formaté, univoque, anxiogène. Le monde de la culture tente de résister et ne cesse d’inventer des poches de résistance. En cela, un festival comme le nôtre est là pour affirmer un mode de représentation et de transmission de la culture innovant. Alors oui : c’est davantage qu’une revendication de liberté. Il y a un caractère d’urgence. Émancipation comme libération.

Quelles sont les « autres libertés » dont vous parlez en sous-titre du Festival ?
Libertés d’associations entre artistes : des écrivains rencontrent des musiciens, des dessinateurs, des comédiens… Et liberté dans les propos qui seront entendus. De Pasolini (lu par Virginie Despentes et Béatrice Dalle) à mon spectacle Frère Animal qui porte un regard sur l’extrême droite, en passant par Christophe Conte qui salue cet art « majeur » qu’est la chanson (contrairement à ce que la provocation de Gainsbourg a laissé dans notre inconscient collectif)…

Frère Animal est plutôt placé sous le signe de la fraternité créative avec Florent Marchet, comment se fait le lien entre fraternité et liberté ? Et naturellement, y-a-t-il aussi un souci d’égalité?
Florent et moi sommes vraiment des frères artistiques (et dans la vie), c’est pour ça que nous avons réussi à travailler ensemble : disons que nous débrouillons des choses très proches dans la création, de sorte que nous parvenons à avoir cette « impudeur » d’écrire ensemble. C’est une grande « nudité » d’écrire avec quelqu’un. Il faut accepter toutes les phrases à oublier, les phrases ratées, il faut s’en remettre à l’autre, lui faire confiance, il faut l’admirer infiniment, être assez passionné par lui. C’est tout une alchimie. C’est une histoire de couple. Cette fraternité permet cela et elle engage la liberté du duo, elle oblige (pour le meilleur) à une égalité (nous avons une charte, depuis le temps, avec Florent, « entre nous » !).

Comment le concert de Frère Animal s’inscrit-il dans la programmation du Festival ? Est-ce facile d’être à la fois dans la conception et dans le line-up ?
C’est Ghislaine qui m’a dit, dès le début, qu’elle souhaitait voir Frère Animal s’inscrire dans la programmation. J’étais heureux de ça. Je vais donc m’absenter quelques heures du festival pour les balances du spectacle !

Mettre au féminin le « éé » des émancipées, est-ce juste se libérer de la grammaire ? Ou tout de suite après le 8 mars, est-ce mettre particulièrement en avant des femmes fortes qui s’inspirent de femmes fortes ? 
La présence de ces femmes « fortes » nous importent tout particulièrement. C’était aussi s’émanciper de la grammaire, envoyer un signal : nous sommes libres, de tout, y compris de cet accord ! Ce festival est un espace d’invention, de liberté. Cette « faute » d’orthographe délibérée est un signal d’affirmation. En poésie, on dit : « licence poétique ». Voilà : ce festival se veut être une « licence poétique ».

Quel peut-être l’impact de la chanson et du texte face au règne de l’image pour anticiper ce « second tour » que nous craignons tous un peu ?
Par-delà les messages véhiculés, le traitement pluridisciplinaire, je pense qu’un principe fort préside : être ensemble réunis dans une salle devant des « formes » inattendues. C’est une aventure ! Nous sommes tous las du flux des infos en continu. Le spectacle vivant et les formes que nous tentons d’inventer ont le mérite, je pense, de nous mettre dans une position de « spectateur » (et de citoyen) fertile, renouvelée, parfois inédite. C’est archi-sain. Croyez-moi, ça fait chaud au cœur de vivre ça « ensemble ».

Emancipees teaser from Théâtre Anne de Bretagne [TAB] on Vimeo.

visuel : affiche du festival et portrait officiel

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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