Plus de 150 personnalités signent une lettre ouverte contre “le conformisme idéologique”
Ce 7 juillet, dans le Harper’s Magazine, plus de 150 personnalités du monde de la culture signent une lettre ouverte pour protester contre ce qu’ils estiment être du “conformisme idéologique” et contre la mise en place progressive qu’ils nomment “censure”. Parmi les signataires, Margaret Atwood, J.K. Rowling, Kamel Daoud, Barbara Steinem ou encore Noam Chomsky.
Le 7 juillet est publiée dans le Harper’s Magazine une lettre ouverte signée par plus de 150 personnalités issues du monde artistique, médiatique, littéraire ou universitaire de divers horizons politiques. Ce qui les réunissent ? Une inquiétude, plus qu’une protestation, quant au devenir de la sphère des idées, pourrait on la nommer. En effet, s’ils saluent le mouvement en cours pour davantage de justice et d’égalité raciale et sociale, “notamment dans l’enseignement supérieur, le journalisme, la philanthropie et les arts”, le “mais” n’est pas bien loin. Effectivement, ce mouvement aurait selon eux “renforcé tout un ensemble de postures morales et d’engagements politiques qui risquent d’affaiblir les règles du débat public et l’acceptation des différences au profit d’un conformisme idéologique”. La lettre se veut surtout une réaffirmation de la liberté d’expression sans toutefois cibler clairement ses ennemis ni les idées qui seraient censurées pour reprendre leur terme. Un moyen donc de réunir un casting pour le moins hétéroclite.
“Je savais que Chomsky, Steinem et Atwood étaient dedans et j’ai pensé être en bonne compagnie”
C’est ce qu’a Twitté l’autrice et activiste transgenre Jennifer Finney Boylan qui, après avoir d’abord signé le texte, à demandé le retrait de sa signature dans les heures qui ont suivis. Elle s’explique en précisant qu’elle ne savait pas qui d’autre avait signé la lettre. “Je croyais que j’appuyais un message bien intentionné, si ce n’est vague, contre le ‘internet shaming’. Je savais que Chomsky, Steinem et Atwood étaient dedans et j’ai pensé être en bonne compagnie. C’est à moi d’en tirer les conséquences. Je suis tellement désolée.”
I did not know who else had signed that letter. I thought I was endorsing a well meaning, if vague, message against internet shaming. I did know Chomsky, Steinem, and Atwood were in, and I thought, good company.
The consequences are mine to bear. I am so sorry.
— Jennifer Finney Boylan ? (@JennyBoylan) July 7, 2020
En effet, la présence de personnalités comme Barabara Steinem ou de Noam Chomsky, connues pour leur positions progressistes et en faveur des droits des femmes et des minorités, au milieu d’autres personnalités plus controversées comme Fareed Zakaria ou encore David Brook et David Frum (journalistes et éditorialistes proche de la droite conservatrice), rend le propos difficilement lisible. On comprends que tous, peu importe leur positionnement sur le spectre politique, se sentent menacés sur leur droite, mais surtout sur leur gauche. En effet, ils déclarent collectivement : “La censure, que l’on s’attendait plutôt à voir surgir du côté de la droite radicale, se répand largement aussi dans notre culture”. Quelle est alors cette “culture” commune par exemple à Noam Chomsky et David Frum ? Ne nous demandez pas, nous serions bien en peine de la définir.
La critique du “goût pour l’humiliation publique et l’ostracisme”. Un problème d’égo ?
Ce contre quoi les signataires de la lettre ouverte semblent s’élever principalement apparaît être surtout les méthodes de sanction qu’ils jugent abusives. En lisant la mention d’“humiliation publique” on pense nécessairement à J.K. Rowling, signataire de la lettre et aux nombreuses réactions qu’elle avait déclenché sur les réseaux sociaux dernièrement suite à ses propos jugés transphobes.
‘People who menstruate.’ I’m sure there used to be a word for those people. Someone help me out. Wumben? Wimpund? Woomud?
Opinion: Creating a more equal post-COVID-19 world for people who menstruate https://t.co/cVpZxG7gaA
— J.K. Rowling (@jk_rowling) June 6, 2020
Si l’importance de “l’échange libre des informations et des idées” qu’ils revendiquent n’est remis en cause par personne, ils critiquent plus particulièrement l'”intolérance à l’égard des opinions divergentes”. La question qu’il faut se poser est désormais: peut on débattre de tout ? Si oui (comme ils le revendiquent), doit on accepter le désaccord et la critique ? Il semble que la réponse soit oui, et que ce soit même le penchant nécéssaire au dialogue et au “principe d’un contre-discours solide et même caustique de toutes parts [qu’ils défendent]”. Pour reprendre l’exemple des tweets de J.K. Rowling qui ont reçut une avalanche de réponses, notons que twitter est aussi et surtout le lieu d’expression accessible à tous, à ceux qui ne peuvent pas signer des tribunes ou écrire des livres. Reste donc à nos signataires, s’ils choisissent de s’exprimer sur ces plateformes, de le faire en connaissance de cause, en sachant qu’ils risquent d’être commenté. En l’occurrence, si le “internet shaming” existe, il est aussi, parfois, le reflet d’enjeux plus larges à côté desquels la personne s’exprimant à pu passer. Ce que J.K. Rowling à pu percevoir comme une “humiliation publique” peu surtout apparaître en réalité comme l’occasion pour l’autrice et les spectateurs et spectatrice du débat en ligne de se poser des questions. Laisser de côté l’égo, “checker ses privilèges” et se poser des questions soulevées par le débat.
Et si les signataires se trompaient d’ennemi ?
Les signataires énoncent ensuite la liste des menaces qui pèsent selon eux sur le débat publique. Au regard de ce qu’ils décrivent, on ne peut s’empêcher d’être, nous aussi, inquiets tant ils dépeignent une société totalitaire guidée par des “forces illibérales”.
“Des éditeurs sont licenciés pour avoir publié des articles controversés, des livres sont retirés pour leur prétendue inauthenticité, des journalistes se voient interdire d’écrire sur certains sujets, des professeurs font l’objet d’une enquête pour avoir cité des œuvres littéraires en classe, un chercheur est licencié pour avoir fait circuler une étude universitaire évaluée par des pairs et des responsables d’organisations sont évincés pour des erreurs parfois maladroites”.
On peut évidemment regretter l’existence de prise de décisions hâtives et de sanctions infondées. Pour autant, qui sont véritablement les “forces illibérale” qu’ils dénoncent ? Est ce que ceux qui sanctionnent les écrits racistes ou sexistes – qui ne sont probablement pas aussi nombreux que le ton de la lettre laisse à croire – sont les ennemis principaux contre lesquels il faudrait s’insurger ? Plus que contre le racisme ou le sexisme lui même ? Lorsque que l’on découvre par exemple que le nouveau ministre de l’intérieur fraîchement nommé est visé par une plainte pour viol, le principe de précaution peu parfois avoir du bon. Ainsi, si les arguments avancés par les signataires peuvent être entendables, la publication de cette lettre ouverte au moment où les droits des femmes sont en recul au Etats Unis et les inégalités raciales sont plus que jamais dénoncées, tombe mal à propos.
On ne peut s’empêcher de se demander si c’est bien le moment pour s’inquiéter de cela. “Autant nous avons salué la première phase de ce mouvement, autant nous voulons nous élever contre la seconde”. La question reste de savoir si la première phase est véritablement terminé et s’il est déjà l’heure pour la seconde.
Visuel: ©T_Marjorie