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Ouverture du Festival Hors-Pistes : « Voir la guerre et faire la paix »

Ouverture du Festival Hors-Pistes : « Voir la guerre et faire la paix »

19 January 2023 | PAR Juliette Brunet

Pour sa 18ème édition, le Festival Hors-Pistes nous invite à « voir la guerre et faire la paix ». Après le choc de la guerre en Ukraine, cette nouvelle édition met en lumière les évolutions des images de conflits armés, tout en questionnant le vide de représentation dont pâtit la notion de paix. Tour d’horizon des installations et des réflexions.

Tandis que les artistes peaufinent les détails de leur installation, Mathieu Potte-Bonneville, directeur du département culture et création du Centre Pompidou et Geraldine Gomez, chargée de programmation, nous accueillent pour nous présenter l’exposition et la programmation du Festival. Centré autour des images en mouvements, Hors-Pistes soulève chaque année une question contemporaine au travers des représentations qui viennent en illustrer les enjeux (pour en savoir plus sur les éditions précédentes, cliquez ici). Le fil conducteur de cette nouvelle édition s’est imposé presque naturellement avec le retour de la guerre aux portes de l’Europe, en février 2022. S’insérant dans la longue histoire des images de guerre, les illustrations du conflit ukrainien apparaissent comme les armes d’un nouveau genre de lutte : une guerre de l’information, où les images tiennent le rôle de pièce à conviction, dans le champ de bataille dématérialisé des réseaux sociaux.

Si la traditionnelle dialectique guerre et paix guide la programmation, questionnant la possibilité d’un dialogue et la nature des liens entre ces notions, deux constats, propres à chacune d’elle sont mis en lumière. D’une part, l’essentiel de la production des images incombe désormais aux amateurs, soldats et civils, évolution qui conduit à reconsidérer la place des photographes professionnels. D’autre part, le vide de représentation dans lequel flotte la notion de paix, idéal utopique qui peine à trouver des illustrations universelles. En effet, la paix apparaît davantage comme quelque chose qui se parle et qui se négocie, bien plus souvent dans l’ombre qu’à la lumière d’une photographie. Aussi, le sous-titre du Festival pourrait être « ce que la guerre fait aux images, ce que la paix fait aux paroles », comme le formule Mathieu Potte-Bonneville.

Représenter la paix : les pourparlers, images de négociation et de médiation

C’est une banalité : (se) représenter la guerre est bien plus évident et intuitif que de tracer les contours d’une image de paix. Imaginaire naïf, idéal impalpable, la paix peine à trouver d’autres symboles que la colombe et le rameau d’olivier. Pour remplir ce vide de représentation, Hors-Pistes inclut dans sa programmation des rencontres sous forme de tables rondes, des moments d’échanges avec des chercheurs et des médiateurs. Le format des pourparlers vient ainsi donner corps à la concorde, par le biais d’images de négociation et de médiation.

Le journaliste Pierre Haski est le maître d’œuvre de ce programme de rencontres, spécialement imaginé pour le Festival. Ancien correspondant en Afrique du Sud, au Moyen-Orient et en Chine pour l’Agence France-Presse et Libération, cofondateur du site d’information Rue89, Pierre Haski préside l’association Reporters sans frontières depuis 2017. Pour illustrer la paix, il a souhaité convier des intervenants des horizons les plus divers en prise avec l’actualité géopolitique : diplomates, photographes de guerre, chercheurs, membres d’ONG qui pourront problématiser « la fin de l’insouciance » frappant l’époque depuis le début de la guerre en Ukraine. Le premier rendez-vous de ce cycle de conférence, construit autour du moment de bascule que nous traversons actuellement, est fixé ce vendredi 20 janvier, à 19h.

Pour retrouver toutes les rencontres, cliquez ici.

Regarder la guerre en face avec Danielle Arbid

La seconde ambassadrice de l’exposition est la cinéaste Danielle Arbid, qui présentera six œuvres de sa filmographie tout au long du Festival. D’origine libanaise, la cinéaste réalise des films depuis 1997, construisant une œuvre dense entre fictions, essais et documentaires. Plusieurs de ces films ont été sélectionnés dans les plus grands festivals du monde et ont reçu de multiples récompenses. Elle a participé à la précédente édition du Festival Hors-Pistes en proposant une « leçon des images ».

Seront présentés Seule avec la guerre (2000), Aux frontières (2002), Dans les champs de bataille (2003), Conversations de salon 1 (le pays) (2004), Un homme perdu (2007). En plus de ces cinq films, lors de la soirée d’ouverture, elle présentera un court essai inédit, Un tueur. Elle a également décidé d’inviter Antoine d’Agata et Jonathan Littell pour évoquer leurs reportages en Ukraine.

En parallèle, cinq autres séances composées avec elle, sont programmées. Entre passé et présent, seront projetés notamment La Commission de la vérité (1999) d’André Van In sur la reconstruction post-Apartheid et le chemin complexe vers une paix possible ; Le Champ des mots (2022) de Rania Stephan sur la nécessité et la souffrance de mettre la guerre en récit ; l’avant-première du nouveau film de Wissam Charaf, Dirty, Difficult, Dangerous, qui illustre la guerre et ses conséquences à travers le destin de deux amants exilés ; ainsi qu’une séance Soudan-Iran autour du dernier film de Hind Meddeb sur les soulèvements pro-démocratiques et leur répression au Soudan couplé à une lecture performance autour d’images récupérées d’Iran par l’artiste Bani Khoshnoudi.

Pour retrouver toutes les projections, cliquez ici.

Chercher des images de paix sous les décombres de la guerre

Chaque année, Hors-Pistes investit le niveau -1 du Centre Pompidou avec une exposition sur la thématique du festival. Pour cette nouvelle édition, la manifestation se déploie autour d’une exposition composée d’œuvres, pour la plupart inédites, d’Émeric Lhuisset, Hélène Mutter, Arnaud Dezoteux et Celsian Langlois, Thibault Brunet, François Fontaine, Kapwani Kiwanga et Orianne Ciantar Olive. Les installations interrogent la métamorphose des images de guerre et les interstices qui permettent d’entrevoir des modalités de paix, même éphémères.

Si la paix utilise la parole comme principal vocabulaire, comment l’exprimer de manière plastique ? Comment des représentations de paix peuvent-elles émergées dans la profusion des clichés de guerre où l’image amateur semble désormais reine ? Sous quelles formes illustrer la paix : imaginaire ou réelle, virtuelle ou matérielle, éphémère ou durable ? Ces questions trouvent dans les sept installations de l’exposition des débuts de réponses et des tentatives de représentation.

Les sept chapitres d’Émeric Lhuisset

En parallèle de sa pratique artistique, Émeric Lhuisset enseigne à Sciences Po depuis 2007 sur la thématique art contemporain et geopolitique. Pour Hors-Pistes, cet artiste plasticien propose une installation multimédia en sept chapitres pour questionner le métier de photographe reporter à l’heure actuelle. Cette exposition « manifeste » cherche à rendre compte du tournant à partir duquel les images de guerre ont échappé aux médias, en s’appuyant sur un travail de plusieurs années. Ainsi, le premier chapitre analyse, découpe et interroge une vidéo amateur du conflit ukrainien, qui n’est pas sans rappeler le cliché de la place Tian’anmen. Cette installation montre l’évolution du rôle du photographe de guerre, qui ne produit plus lui-même ses clichés, mais enquête désormais sur les images relayées sur les réseaux sociaux.

Nous vous laissons découvrir les autres chapitres du 19 janvier au 19 février…

Le coucher de soleil militaire d’Hélène Mutter

Hélène Mutter est une artiste plasticienne, docteure en art et sciences de l’art et chercheuse en War Studies. Son installation Military Sunset s’appuie sur des images produites par les opérateurs militaires, avec pour dénominateur commun un fond de coucher de soleil. Ce leitmotiv évoque calme et sérénité, accompagnant l’image d’Épinal de la puissance militaire d’une atmosphère paisible. Faisant face à ces photographies d’archives, des casques diffusent les témoignages de hauts dignitaires de l’armée, exprimant leur conception de la guerre et de la paix de manière anonyme. Cette installation vient questionner ce corps de métier, donnant de la visibilité à la parole de ces artisans de la guerre, en interrogeant leur rôle dans la construction de la paix.

Si la guerre semble nécessairement inclure la mort, ne peut-on pas considérer que l’armée maintient la paix ? Mais n’est-ce pas contradictoire d’affirmer que la guerre a pour vocation de défendre la paix ? Dès lors, comment expliquer qu’autant de millions, de propositions et d’imagination ne soient pas investis dans la paix comme dans la guerre ?

Les explorations singulières de Minecraft Explorer de Thibault Brunet

Avec une oeuvre numérique, Thibault Brunet interroge la frontière entre le réel et le virtuel. Il nous propose trois explorations dans Minecraft Explorer, en cherchant à répondre à la question suivante : qu’est ce qui, dans un monde vierge, déclenche la guerre et la paix ? Utilisé comme une boule à neige, le jeu vidéo sert de support à une observation scientifique des conflits humains. Ainsi, l’anthropologue Bénédicte Fontaine vient interroger la notion d’ennemi, dans ce monde virtuel où tuer est une nécessité pour avancer technologiquement. Le monde étant considéré comme une ressource continuelle, comme un territoire de conquête, n’est-ce pas alors le joueur qui est l’ennemi de son environnement ? La géographe Eve Ben-Haïm s’interroge quant à elle sur la notion de frontière, et la juriste Maud Hoestlandt, sur les notions de fraternité et d’entraide.

L’avenir des reporters de guerre selon Orianne Ciantar Olive

Avec une installation immersive, la photographe indépendante Orianne Ciantar Olive vient questionner l’avenir de sa profession. Par le biais du compte Instagram Stuck in here, elle a demandé à des jeunes ukrainiens de prendre des photos de leur quotidien, en excluant les images du conflit et les commentaires politiques. Le téléphone de l’artiste est placé au centre de l’installation reliant les photographes amateurs à l’écran qui projette leurs clichés. Les flux des échanges sont matérialisés par des néons lumineux, dont la couleur correspond à un réseau social. Cette installation interroge la réaction du public face aux images relayées et témoigne d’une volonté de donner des images à la paix, même éphémères et ponctuelles.

La série Witness de François Fontaine

François Fontaine est docteur en histoire de l’art, commissaire d’expositions, rédacteur en chef dans la presse magazine et artiste photographe membre de l’agence VU’. La série Witness s’apparente à un reportage de guerre factice, afin de mettre en lumière la confusion des images et le mélange des supports fictionnels, réels et virtuels. Deux photographies à l’esthétique floue se font face : l’une est une image de la réalité, l’autre est une capture d’écran d’un jeu vidéo. Cette installation reflète à la fois l’universalité iconographique de la guerre et la frontière ténue qui existe entre la réalité et la fiction.

Le projet Flowers for Africa de Kapwani Kiwanga

Le travail de Kapwani Kiwanga traite des asymetries de pouvoir en faisant dialoguer des recits historiques, des realites contemporaines, des archives et des futurs possibles. Son projet Flowers for Africa, initié en 2013, se poursuit dans le cadre du Festival. L’artiste s’est concentrée sur la présence des fleurs lors d’évènements diplomatiques relatifs à l’indépendance de pays africains. Disposées sur les tables des négociations, ces compositions florales deviennent des témoignages ambigus de ces moments historiques. Chaque œuvre de la série prend la forme d’un protocole selon lequel l’artiste demande à son détenteur de recréer la composition florale de l’image d’archive de référence aussi précisément que possible, en intégrant une part inévitable d’interprétation. Vouées à faner tout au long de leur présentation, ces fleurs invitent à une réflexion sur le temps et la commémoration.

L’installation immersive et hermétique d’Arnaud Dezoteux et Celsian Langlois

Dans cette dernière salle toute en longueur, Arnaud Dezoteux et Celsian Langlois nous invite à nous immerger dans un jeu de rôle grandeur nature, auquel participe plus de 1 200 participants. Chaque année, les membres de l’association EveOniris joue un scénario inspiré de la mythologie pendant trois jours et trois nuits, durant lesquels se succèdent autant de moments de conflits que de temps de négociation. Spectateur de cette mise en scène, on se demande d’où vient ce besoin continuel de rejouer la guerre, même en temps de paix… La pénombre vient illustrer les temps de négociation, les échanges diplomatiques et les tractations ayant bien souvent lieu dans l’ombre. Si cette installation est immersive, elle se veut aussi hermétique en désynchronisant le son et les images. Sans connaître le scénario, il est impossible de suivre ce jeu dépourvu de centre, se déroulant sur plusieurs hectares. On a la désagréable sensation que l’objet du film nous échappe en permanence du fait de la coexistence de multiples intrigues. Aussi, comment dans la plupart des conflits, personne ne semble bien comprendre ce qu’il se passe…

© Affiche du Festival Hors-Pistes

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Juliette Brunet

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