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L’extimité, l’exhibitionisme maitrisé des réseaux sociaux

L’extimité, l’exhibitionisme maitrisé des réseaux sociaux

01 October 2014 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Les humains sont prévisibles, ils veulent bien poster sur leur Facebook des photos d’eux en maillot de bain mais hurlent si elles se retrouvent ailleurs que dans leur espace “personnel”. Tiens, “personnel” ? Figurez vous qu’un mot existe, on parle d’extimité, c’est à dire de vie privée étalée sur des espaces privés Explication.

Il y a une dichotomie. Alors que des people assument d’offrir une intimité faussement naturelle, on a vu récemment le chat de Karl Lagerfeld, le célèbre Choupette dépasser sur son propre Twitter les 42000 followers, les gens normaux eux sont comme pris au piège, au point que  l’éducation au numérique  a été déclarée si l’on peut dire  “grande cause nationale” en 2014.

Cela témoigne d’une prise de conscience sur le droit  à l’image et plus loin. Si l’on résume grassement : si vous ne voulez pas voir vos photos circuler, ne postez pas sur les réseaux quelque chose que vous n’assumez pas.

La politique d’utilisation des données Facebook est claire : “Les personnes qui utilisent Facebook peuvent enregistrer et communiquer les informations dont elles disposent à votre propos ou à propos d’autres personnes, comme lorsqu’elles téléchargent ou gèrent leurs invitations et contacts”.

De son côté la Commission nationale de l’informatique et des libertés dont la mission est de veiller à ce que l’informatique “ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques” a mis en place de nombreux outils de surveillance et des protections en produisant des textes qui permettent d’enseigner aux internautes la façon de se comporter sur les réseaux.

Emmanuel Alloa et Sara Guindani, dans « La transparence » publié dans la revue Appareil en 2011 pointait ce qui n’a fait que s’accélérer :
“La conservation des données personnelles constitue l’un des sujets les plus sensibles : 92% jugent important qu’elle soit limitée dans le temps. Ce résultat fait d’ailleurs écho à la consultation lancée récemment par la CNIL auprès des internautes à propos du droit à l’oubli numérique ;
La géolocalisation est également un sujet majeur de préoccupation des Français : 75% disent la refuser ;
L’utilisation abusive des données est citée en moyenne par plus de 40% des Français comme un risque perçu dans les domaines de l’e-administration, la banque en ligne et l’e-commerce. 52% des utilisateurs de réseaux sociaux manifestent quant à eux des craintes sur l’accès éventuel de tiers à leurs données.”

Mais la question n’est pas neuve. Jacques Lacan dans son séminaire du 26 Mars 1969 “D’un Autre à l’autre” écrivait :

“C’est en tant qu’il est ici une place que nous pouvons
désigner du terme conjoignant l’intime à la radicale
extériorité”.

Mais voilà que la mise en scène personnelle devient générale. La CNIL avançait le chiffre de 77% d’internautes utilisant des réseaux sociaux. La même CNIL explique le comportement à adopter. Il s’agit de ne pas communiquer des informations sur « leur vie personnelle ” ( ndlr : leur vie peut-elle être impersonnelle ?) Il s’agit de “Régler avec soin les paramètres de confidentialité : 77% des utilisateurs affirment avoir modifié leurs paramètres de confidentialité sur Facebook. Donner de fausses informations : 47% donnent volontairement de fausses informations, dont les 2/3 pour limiter la diffusion d’informations personnelles. Protéger son identité par le pseudonymat : 16% se présentent sous un pseudonyme sur les réseaux sociaux.”

La réponse à la protection est de l’ordre de l’auto-flicage. Mais si vous n’êtes pas un bon soldat, sachez que vous gardez un droit (relatif) à l’image. En effet, Vous avez le droit de faire effacer une photo de vous d’un site ou d’un réseau social. Vous devez demander à la personne qui l’a publiée de l’enlever. Si vous n’obtenez pas de réponse ou si toutes les photos signalées ne sont pas retirées, vous pouvez vous adresser à la CNIL.”

Ainsi, pour citer de nouveau Emmanuel Alloa et Sara Guindani : “S’ils sont indéniablement aussi des instruments d’émancipation, les réseaux sociaux répondent également à un impératif d’« auto-publication » qui rapproche la vie d’un état d’exposition permanente, forme particulièrement aboutie – parce que sournoise – du Panoptique décrit par Foucault.”

La question des données personnelles est donc un simulacre, à nous de l’assumer pleinement si ce n’est pas déjà le cas, ou bien de s’adonner aux joies de Snapchat en ayant la crédulité de croire que nous sommes dans l’éphémère. Plus prosaïquement, se penser David face à Goliath est aussi faux. Lors du dernier Forum d’Avignon Fleur Pellerin s’est totalement impliquée dans un discours clair et optimiste, qui a donné le ton de l’ensemble de la journée: Loin des fantômes de données manipulatrices et de la paranoïa que la perspective des datas, peut engendrer, la ministre est partie du principe que l’ouverture des données publiques était « vecteur d’accessibilité de créativité d’innovation et de croissance ». A la condition de réaliser « que des acteurs privés accèdent aux données personnelles change notre modèle de libertés publiques ».

La porte reste ouverte d’une réponse politique à la folie de l’autoportrait continu et virtuel.

Visuel : Twitter

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Et la Performance inventa le 4.0
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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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