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L’interview confinée de Marina Viotti : ” il faut que la culture et l’opéra puissent continuer après cette crise ! “

L’interview confinée de Marina Viotti : ” il faut que la culture et l’opéra puissent continuer après cette crise ! “

24 March 2020 | PAR Paul Fourier

On a tendance à croire Marina Viotti italienne. Que nenni ! Notre jeune mezzo-soprano est franco-suisse, a une belle carrière (plus en Suisse, en Espagne, en Allemagne, en Italie (tout récemment) qu’en France) et… est aujourd’hui confinée comme tout le monde !

Bonjour Marina, pourquoi cette méprise sur votre nationalité alors ?

Souvent, on pense que je suis italienne à cause de mon nom, mais je suis plutôt française ; ma mère est française, mon père est suisse de parents italiens immigrés en Suisse. Je dis souvent que j’ai l’esprit suisse, le cœur français et l’âme italienne. Il arrive que les gens s’adressent à moi en italien lorsqu’ils me rencontrent alors que je parle beaucoup moins bien l’italien que le français. En revanche, comme je n’ai pas fait de Conservatoire en France, je réalise plus ma carrière hors de la France, mis à part à Strasbourg. C’est comme si les Français me boudaient alors que j’aimerais vraiment plus travailler dans mon pays. Et ironie du sort ! je devais tout récemment auditionner à Paris et je n’ai pas pu à cause du virus.

Venons-en alors au confinement. Où êtes-vous actuellement ?

Dans la maison de ma mère à Lyon, avec mes deux frères (l’un, Alessandro, est corniste, l’autre, Lorenzo, est chef d’orchestre) ainsi qu’avec la compagne du premier et un luthiste mexicain qui loue une chambre ici. Nous avons donc finalement la chance de rester dans un milieu artistique et d’être à plusieurs.
J’étais en Italie lorsque tout a commencé, puis je suis allé en Espagne (j’ai toute ma vie dans un appartement à Valencia, mes partitions, mon ordinateur, mes vêtements, tout ! Je n’ai pas eu le temps d’y retourner lorsque les frontières se sont fermées) pour finalement me retrouver ici. J’ai donc vu le développement du virus dans chaque pays et j’espère qu’en France nous éviterons la tragédie qui se déroule dans le nord de l’Italie.

Est-ce que vous arrivez à sortir ?

Nous nous sommes bien organisés pour faire les courses, chacun à notre tour et une fois par semaine seulement. Il y a aussi des tours de cuisine, des menus pour être efficace dans les courses. Et heureusement, nous avons le jardin qui nous permet d’avoir une activité extérieure. Nous avons conscience d’être privilégiés.

Durant cette période, vous est-il possible de continuer à travailler, de préparer des choses pour l’avenir ?

J’ai finalement de la chance, car je n’avais pas grand-chose de prévu jusqu’à mai. Mais tout ce qui était prévu de mai à août risque de sauter ; en l’occurrence, il s’agissait malheureusement !, de plusieurs Barbiers de Séville dans des belles maisons. Mais en tant que chanteurs, nous avons déjà l’habitude d’être chez nous pendant des heures pour travailler des rôles ; je vais donc le faire avec les nombreuses partitions qui sont sur mon iPad. Je vais également pouvoir utiliser ce temps à étudier et créer des nouveaux récitals, à m’occuper de nouveaux projets…
Cela va aussi me permettre de prendre de l’avance et, notamment, de commencer à apprendre le rôle d’Octavian (du Chevalier à la Rose de Richard Strauss), rôle que je dois chanter dans deux ans. J’ai la chance d’avoir un frère chef d’orchestre et pianiste à la maison ! J’essaye aussi de voir les choses du bon côté. Ainsi, j’apprends le russe, car je sais que je vais beaucoup chanter dans cette langue… Et je prépare des duos en ligne avec d’autres chanteurs, car il ne faut pas que nous laissions notre voix trop longtemps au repos. Enfin, nous n’avons pas, ici dans la maison, de soucis de voisinage et pouvons faire autant de bruit que nous voulons (rires), ce qui est, là encore, une chance.

La situation des artistes est très difficile dans la durant cette période ; il y a eu des appels, récemment un courrier de Ludovic Tézier pour alerter et demander que des dispositions soient prises.

La situation va être très très très compliquée, surtout pour les jeunes chanteurs, ceux qui commencent, ceux qui dépendent des petits théâtres français qui ont moins de subventions et qui vont avoir des gros soucis financiers. Et c’est super que des artistes, comme Ludovic Tézier, qui ont voix au chapitre, une réputation et une reconnaissance mondiale puissent aider à soulever ce problème. Nos dirigeants sont occupés à des choses plus urgentes sur le moment et n’auront peut-être pas le temps de d’immédiatement penser à nous. Mais beaucoup de collègues, et moi-même allons perdre quatre, cinq mois de travail. Nous devons revoir toutes nos finances ; c’est une situation d’angoisse et vraiment un grand Merci aux artistes plus célèbres qui se mobilisent pour nous.
En ce qui me concerne, je dépends du régime suisse en tant qu’indépendante, et autant vous dire que j’ai peu d’espoir de recevoir une aide. Sous l’impulsion de Marie Claude Chappuis, nous avons essayé de nous réunir, nous, les Suisses qui faisons une carrière à l’International, mais sommes trop peu nombreux et nous n’aurons probablement aucun poids.
Quoi qu’il en soit, il faut que la culture et l’opéra puissent continuer après cette crise !

Avec cette crise, des questionnements émergent sur nos modèles économiques, environnementaux, etc. Avez-vous un espoir ou un souhait à propos de ce qui pourrait changer à l’issue de cette période ?

J’en ai plusieurs ; j’aimerais que le gouvernement se rende compte de la situation des hôpitaux en France, du personnel soignant. Il n’y a pas assez de matériels, de protections pour ces personnels. C’est fou !
J’espère aussi qu’il y aura une prise de conscience de l’humain ; d’une part, le fait que l’on dépend beaucoup trop des choses matérielles et, d’autre part, une nécessaire prise de conscience écologique, car beaucoup de drames arrivent, car on utilise beaucoup trop la nature ; on l’épuise !
Et enfin, il nous faut prendre conscience de la chance que l’on a de vivre ensemble, de faire société. Le fait d’être isolé aujourd’hui nous permet de nous rendre compte à quel point c’est dur la solitude, à quel point c’est nécessaire d’être ensemble ; heureusement que nous avons Internet qui nous connecte les uns aux autres.

Pour finir sur des choses plus légères, quel est votre défaut essentiel, qui s’est révélé au premier jour du confinement ?

Primo, je deviens de mauvaise humeur quand j’ai faim ! Secundo, je m’aperçois que je ne sais pas vraiment ne rien faire !

La chose la plus stupide que vous ayez faite pour vous occuper ?

Nous sommes en train d’apprendre une chorégraphie de danse classique. Mais c’est un secret ! (rires)
Nous avons aussi tenté le challenge de Andreas Ottensamer qui consiste à mettre une balle de ping-pong dans une tasse à café à plus de neuf mètres !

Quelle activité avez-vous redécouverte avec le confinement ?

Lire ! J’ai beaucoup lu dans mes études ; j’ai fait khâgne et hypokhâgne avant d’être chanteuse et je n’avais plus le temps de lire. Je suis vraiment heureuse de retrouver mes livres !

Et enfin, quelle astuce avez-vous pour tenir chaque jour ?

Notre astuce, c’est de se faire un planning chaque jour ; pour moi, il est composé de sport, de musique, d’apprentissage de la langue, de lecture, de rangement, de challenge, et d’appel aux gens qui sont tout seuls. Si l’on rajoute la cuisine et manger, on occupe finalement bien la journée !

Visuel © Marina Viotti

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