L’interview confinée de Geneviève Laurenceau, violoniste
Violoniste née à Strasbourg, Geneviève Laurenceau a reçu le premier Prix au Concours International de Novossibirsk (Russie) et remporté le 5ème concours « Le violon de l’Adami ». Elle venait de lancer son projet de quintette 100 % féminine Smoking Josephine avec un album Amour toujours ! (Naïve) pour la Saint-Valentin et un concert au Bedford, 10 jours avant que le confinement ne tombe. Actuellement, elle est confinée en Normandie et nous donne des nouvelles depuis le jardin de la maison familiale d’où elle a lancé un appel / challenge à des compositeurs : Un violon sous le toit.
Voir cette publication sur InstagramAmis compositeurs, je vous challenge ! . . #musique #creation #violon #challenge #violonsousletoit
Comment allez-vous ?
Je suis basée momentanément en Normandie, dans notre maison de famille, et je vais bien. Je pense beaucoup aux gens qui n’ont pas la chance d’avoir un jardin comme moi, ou qui ont perdu un proche…. bref c’est une période terrible pour certains, et je ne peux pas m’empêcher de le ressentir.
Mais je suis rentrée dans ce nouveau rythme sans concerts, sans partage direct avec le public, et je me suis plongée dans d’autres choses qui pallient ce manque.
Je crois que les musiciens ont déjà une longueur d’avance en ce qui concerne l’aménagement du vide : chacun de nous connaît des périodes effrénées où on est partout à la fois, suivies tout à coup d’une semaine totalement désertique… Le changement de rythme et la gestion d’une page blanche font partie aussi de notre métier. Mais cette expérience va encore au-delà, puisque le confinement est loin d’être terminé, et la vie des artistes ne reviendra pas à la normale avant des semaines….
Est ce que vous sortez encore un peu ou bien êtes vous totalement enfermée?
Je sors, très peu. A l’extérieur, une fois par semaine pour faire les courses. J’ai l’impression d’être dans un film, ça me fait bien rire : ne pas oublier l’attestation, le gel hydroalcoolique, le masque… on dirait que je pars pour une mission spéciale.
Sur le chemin du retour je vais toujours regarder la mer, et ça fait du bien de voir qu’elle est toujours là.
Mais surtout, je sors dans le jardin. Je me suis mise à jardiner.
Quelles sont vos routines culturelles pour faire descendre l’angoisse ?
Ce n’est pas culturel, mais ça fait autant de bien : le jardin. J’ai bêché beaucoup et créé plusieurs potagers, dont l’un en permaculture. J’ai planté beaucoup de graines, salades, fait des semis. Faute de contact avec les gens, le contact avec la terre, le fait de pouvoir la toucher, la respirer, est une belle catharsis pour moi en ce moment.
Je me suis mise à l’italien. Un peu chaque jour. Je lis en italien, je fais des exercices. Un ami italien m’appelle chaque semaine et nous parlons. J’avance, c’est gratifiant.
Je relis Harnoncourt, c’est à partir de cette lecture que l’idée du “violon sous le toit” m’est venue, du constat que la musique contemporaine s’est éloignée des gens et de leurs envies, de notre vie de tous les jours. J’ai ressenti le besoin de faire quelque chose qui remettrait la musique classique d’aujourd’hui au cœur de la vie.
Je fais du vélo d’appartement (un esprit sain dans un corps sain, le sport fait donc partie de la vie culturelle).
Je lis, des romans aussi. En ce moment, c’est Confiteor de Jaume Cabré.
Je corresponds beaucoup avec quelques personnes que je (re)découvre en cette période où chacun a (notamment les artistes) plus de temps.
J’enregistre mes vidéos pour Un violon sous le toit et je suis en contact très régulier avec les compositeurs qui m’envoient leurs œuvres, avant de les enregistrer.
Et, bien sûr, je travaille mon violon. Cette expérience est, soit terrible parce que vide ou dramatique, soit passionnante si on se donne des challenges. Je remets les doigts sur les sonates de Beethoven, et les étudie en profondeur. Pareil avec les sonates et partitas de Bach. C’est comme une sorte de méditation, d’approfondissement de mon rapport à certaines œuvres.
Quels projets ont été repoussés ? A quand ?
Mon agenda est devenu une page blanche jusqu’à la fin juin. Les festivals d’été sont encore hypothétiques, on ne sait pas ce qui va vraiment rester de toutes ces réjouissances. Des masterclasses à l’académie Jaroussky et au pôle supérieur d’Aix, où j’enseigne ; des récitals, émissions de radio, une tournée de concerts en Corée et en Australie : voilà les belles choses qui étaient prévues, et qui sont annulées.
La liste n’est sans doute pas encore terminée, mais j’espère que certains de ces concerts pourront être reportés.
La promotion de notre album avec mon groupe les Smoking Josephine, Amours toujours, a aussi été stoppée tout net : nous avons eu tout juste le temps de donner notre concert de sortie d’album à la Seine musicale de Boulogne, avant que tout ne s’arrête. Mais l’album reste heureusement en écoute sur toutes les plateformes de téléchargement !
Mon Festival en Alsace, à Obernai, est lui en suspens : bien qu’il ait lieu fin juillet (du 23 au 31 juillet cette année), la sagesse demande d’attendre et de ne maintenir cette semaine de concerts que si les conditions le permettent. Je croise les doigts de toutes mes forces !
Quels retours avez vous sur Un violon sous le toit?
Des retours très enthousiastes ! Ça fait chaud au cœur !
D’abord du public, qui a suivi dès les premiers épisodes et commente les vidéos, et je suis ravie parce que ce ne sont pas toujours des musiciens qui écoutent ! L’idée de faire entrer la musique qui s’écrit aujourd’hui dans une forme de quotidien vivant, ça marche donc sur les réseaux, c’est une chose intéressante.
Du côté des compositeurs aussi, c’est une magnifique expérience : j’ai bien sûr repris contact avec des amis, mais j’ai aussi découvert de nouveaux compositeurs, que j’aurai envie de rejouer. Et des compositeurs en herbe m’ont aussi envoyé des pièces, dont l’un de mes étudiants à Aix, dont je ne soupçonnais pas ce talent…
Est ce que ce temps révèle quelques plaisirs coupables ?
Je suis fan des blagues qui circulent sur internet au sujet du virus et de notre vie actuelle. Certaines me font vraiment pleurer de rire. C’est tellement bon de pouvoir rire d’une situation qui nous bouleverse tant !
Et j’ai renoué avec une pâte chocolatée bio miraculeuse qui me donne du baume au cœur quand le moral ne va pas trop…
Pour suivre le challenge Un violon sous le toit, rendez-vous sur le compte instagram de Geneviève Laurenceau.
visuel :photo de l’artiste