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L’interview confinée de Camille Trouvé, des Anges au plafond : “J’ai l’impression que l’on dépense pas mal d’énergie en suppositions”

L’interview confinée de Camille Trouvé, des Anges au plafond : “J’ai l’impression que l’on dépense pas mal d’énergie en suppositions”

06 April 2020 | PAR Julia Wahl

A la rédaction, une idée a surgi dans les boucles de mails : faire parler des artistes, leur demander « comment ça va ? » et comment ils vivent leur confinement, ce que cela provoque en eux. Aujourd’hui, l’actrice-marionnettiste Camille Trouvé, cofondatrice de la compagnie Les Anges au plafond, nous répond.

Comment ça va ?

Aujourd’hui, ça va, mais il y a des hauts et des bas parce que, comme pour tout le monde, ça a été très brutal. On était à un moment de grande activité quand le confinement a été décrété : on était en pleine création, on venait de sortir la première du Bal marionnettique, qui est un événement festif très fédérateur, où on était une équipe de plus de vingt marionnettistes-musiciens-constructeurs. On venait de jouer la première… Du coup, cet arrêt brutal de l’activité m’a paru violent. C’était comme si on éteignait la lumière d’un seul coup ; il y a eu un moment de sidération. Il y a des moments où je n’arrive pas encore à réaliser qu’on est retourné dans une intimité très forte, qu’on est isolés. C’est le contraste avec le festival MARTO [Festival de MARionnettes et Théâtre d’Objet], la première du Bal, la grande activité qu’on avait tous, et, brutalement, on se retrouve avec ce temps suspendu. C’est aussi la difficulté de prévoir l’avenir, de savoir comment ça va s’organiser, avec les dates qui tombent les unes après les autres…

En même temps, comme vous êtes aussi constructrice de marionnette, on imagine qu’il y a des temps où vous êtes habituée à l’intimité de l’atelier…

Oui, mais quelque part, on s’y prépare. Quand je retourne dans ce lieu où je suis actuellement, qui est très isolé, en général j’organise le repli. C’est comme un cycle et, là, j’étais au milieu d’un autre cycle, au milieu d’une tournée, entourée d’une équipe, et je ne m’attendais pas à faire ce retour sur soi. Mais, effectivement, ce sont des sensations que je connais parfaitement. Quelque part, elles sont aussi agréables, ce sont des moments de calme, de réflexion et de création. Je prends du plaisir à être à l’atelier, bien sûr, en face à face avec les marionnettes en construction.

Et vous arrivez à travailler actuellement ?

Oui. Tout d’abord, on s’est mis à réorganiser notre outil de travail, parce que l’atelier était dans un état de post création, avec beaucoup de matériel qui était revenu dans la précipitation. Brice et moi avons passé la première semaine à retrouver un espace qui puisse accueillir les nouvelles idées, le nouveau projet. C’est comme si tout avait été bousculé. Maintenant, on a ouvert notre cahier de création pour notre prochain projet, qui verra le jour en novembre. Là, je suis plutôt contente d’avoir du temps devant moi, d’avoir du calme.

Et quel est ce projet ?

C’est une création pour novembre 2020, qui s’appelle Le Nécessaire déséquilibre des choses. C’est un peu un nouveau cycle dans la compagnie des Anges au plafond parce que, jusqu’à présent, on s’est beaucoup inspiré de personnages mythologiques [voir par exemple Au Fil d’Œdipe] ou on a adapté des romans [comme White Dog]. Là, on a choisi d’écrire quelque chose qui est plus proche de nous et qui croise marionnette et philosophie. On s’inspire des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes et on interroge la relation amoureuse. C’est une écriture plus personnelle, qui se rapproche de nos préoccupations, de nos désirs.

Vous avez parlé de l’angoisse ; est-ce que vous avez développé des routines autres que le rangement de l’atelier ?

(Rires) Comme tout le monde, on va se promener une fois par jour. La chance que l’on a et que l’on mesure, c’est que cet atelier est au bord de la forêt. Et comme il n’y a vraiment personne, il n’y a pas de risque. On maintient la distanciation sociale. C’est un des rituels de la journée. Sinon, on fait des journées de travail tout à fait normales.

Il y a une chose aussi que j’aime beaucoup dans le rituel du quotidien, c’est que j’ai plusieurs ami. e.s qui enregistrent des feuilletons. J’ai une amie, Estelle Savasta, qui enregistre l’Iliade et l’Odyssée, je suis aussi le Journal de confinement de Wajdi Mouawad… Je trouve ces rendez-vous quotidiens très forts, ça rythme ma journée. C’est comme une trace aussi de cette période particulière. Je trouve important de recueillir des témoignages. Avec Brice on enregistre aussi le Roman de Renart, un épisode par jour, que l’on partage uniquement avec les enfants de la compagnie. Pas les adultes, le texte est top grivois.

Vous avez parlé des dates qui disparaissent régulièrement. J’imagine que c’est une source d’angoisse supplémentaire ; comment voyez-vous l’avenir ?

Il faut réorganiser cette fin de saison avec ses enjeux mais personne ne sait quand l’activité va reprendre, donc on échafaude des hypothèses en permanence. J’ai l’impression que l’on dépense pas mal d’énergie en suppositions. C’est une chose dont nous, artistes, avons l’habitude mais, là, c’est dans un monde beaucoup plus mouvant et incertain. Après, on a rencontré beaucoup de solidarité autour de nous, auprès des directeurs et directrices de théâtre. Pour l’instant, personne ne nous laisse dans l’idée que tout s’effondre du jour au lendemain sans trouver de solution.

Avez-vous d’autres projets que ce qui vient d’être évoqué ?

La saison prochaine, neuf spectacles de notre répertoire sont sur les routes. L’organisation de cette tournée prend aussi beaucoup de temps. Il y a ce Bal marionnettique, dont la création a été très perturbée par la crise actuelle, si bien qu’on essaie de retrouver une visibilité pour la saison prochaine.

On est en train d’organiser avec le Théâtre 71 [théâtre de Malakoff, partenaire du festival MARTO, qui devait accueillir le Bal marionnettique le 14 mars en clôture du festival] une nouvelle clôture du festival MARTO en juin prochain, que l’on va appeler « Retour de MARTO ».

Y a-t-il une chose qu’on n’a pas évoquée que vous souhaiteriez aborder ?

Le lien à l’équipe. Nous ne sommes pas des artistes solitaires (rires). Il y a une forme de retour à la solitude de l’artiste dans son atelier, que je n’avais pas connue depuis longtemps et qui me ramène à des souvenirs un peu anciens. Je me rends compte à quel point, depuis, on a fonctionné en collectif, en troupe. Cette période nous ramène au début de l’aventure où l’on était moins nombreux, on travaillait plus en autarcie.

Cependant, je mesure la chance que nous avons de pouvoir continuer à pratiquer notre métier dans de bonnes conditions. J’ai une pensée particulière pour les femmes confinées avec des conjoints violents ou les familles privées du minimum d’espace vital. Nos marionnettes sont confinées mais solidaires… Elles ont hâte de retrouver le chemin des théâtres.

Visuel : Brice Berthoud

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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