Lille est Charlie
Hier soir, le message s’est répandu comme une traînée de poudre à Lille : rendez-vous à 18 h place de la République pour se rassembler et pleurer les douze hommes et femme tombés sous les balles de l’extrémisme et de l’intolérance. Depuis, à l’image du monde entier, Lille est en deuil. Retour sur 36 heures éprouvantes, pleines de tristesse et de recueillement.
Il y avait du monde avant 18 h hier soir, place de la République, entre deux bâtiments lourds de symboles : le Palais des Beaux Arts et la préfecture du Nord. Un type hurlait à la lune le nom de Cabu, les gens se retrouvaient, brandissant des affiches A4 imprimées à la hâte avant de quitter le bureau : Je suis Charlie. Une foule silencieuse, armée de stylos et d’exemplaires de Charlie Hebdo. Pas de prise de parole, pas de mot d’ordre, simplement l’envie de se retrouver pour faire front face à la barbarie. Et soudain, ces applaudissements, moment vibrant d’émotion et plus parlant que mille discours. Il y avait plus de 3 000 personnes pour manifester leur peine et leur soutien à Charlie Hebdo.
Hier soir avait lieu la première lilloise du magnifique Retour à Reims de Laurent Hatat, qui traite justement de racisme et de tolérance… Sur le comptoir de la billetterie, des affichettes, et, à l’issue du spectacle, un mot de Laurent Hatat, qui explique que la compagnie a choisi de jouer parce que se taire, ç’aurait été céder aux arguments de la terreur. Sans oublier de rappeler qu’à Lille, le 25 avril 1741, avait lieu la première de la pièce Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète, d’un certain Voltaire – et que personne ne l’a tué avec une kalachnikov.
Aujourd’hui, jour de deuil national, la pluie est tombée sans discontinuer sur la Capitale des Flandres, comme pour mieux correspondre à l’humeur du moment. Drapeaux en berne, la façade de La Voix du Nord ne diffusait plus l’heure, mais une simple petite phrase que tous reprennent aujourd’hui : Je suis Charlie. Plus tard dans l’après-midi, l’écran était noir. Juste à côté, le Théâtre du Nord affiche lui aussi son soutien à Charlie – sur son portail autant que sur la page d’accueil de son site.
A midi, les sirènes de l’Hôtel de Ville ont retenti, et le temps s’est arrêté. Certains se sont réunis sur la Grand’ Place, d’autres dans le hall de l’Hôtel de Ville ou au Palais des Beaux Arts, d’autres ont mis le téléphone du bureau sur messagerie et, pendant une minute, se sont tus pour rendre hommage à Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Philippe Honoré, Bernard Maris, Ahmed Merabet, Elsa Cayat, Mustapha Ourrad, Frédéric Boisseau, Michel Renaud, Franck Brinsolaro, morts pour avoir refusé de renoncer à leur liberté d’expression, droit fondamental et fondateur de la démocratie. De l’autre côté de la ville, au cœur du Vieux Lille, Notre-Dame de la Treille a sonné le glas pour ces drôles de loustics qui n’ont pourtant pas épargné la religion catholique.
Dans les vitrines de leurs boutiques, certains commerçants ont aussi choisi de soutenir Charlie. Comme ce petit café restaurant lové dans une rue du Vieux Lille. Ce soir, un autre rassemblement a eu lieu place de la République, avant celui de samedi à 14 h 30, qui partira de la Porte de Paris pour rejoindre la place de la République. Avec un seul mot d’ordre : on continue.
