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Ken Loach : invité d’honneur des Journées cinématographiques

Ken Loach : invité d’honneur des Journées cinématographiques

08 February 2023 | PAR Juliette Brunet

Tandis que la France connaissait une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites ce mardi 7 février, les 23ème Journées cinématographiques accueillaient le réalisateur britannique Ken Loach, connu pour son cinéma social et militant. A la suite de la projection de son documentaire Which side are you on ?, il a pu échanger avec le public du cinéma L’Écran de St Denis.

Les 23ème Journées cinématographiques se sont ouvertes ce jeudi 2 février 2023. Sur le thème des « Regards satellites », elles s’achèveront le 11 février prochain après la diffusion d’une cinquantaine de films dans quatre cinémas : L’Écran (Saint Denis), Le Studio (Aubervilliers), L’Étoile (La Courneuve) et L’Espace 1789 (Saint-Ouen). Ce mardi 7 février, le réalisateur britannique à la double palme-d’or Ken Loach était l’invité d’honneur du festival, alors que la France connaissait son troisième jour de grève contre la réforme des retraites.

 

Un regard militant et radical qui ne renonce pas à l’espoir

« C’est un temps de lutte, en ce jour, les gens se battent. C’est toujours un moment galvanisant », se réjouit Ken Loach lors de la rencontre avec la presse. Si la France a connu une nouvelle journée de mobilisation, les agents des services publics britanniques rejoignent aussi les piquets de grève depuis le début de l’année. Rassemblant les secteurs de la santé, de l’enseignement, des transports, mais aussi la poste, les pompiers, la polices aux frontières, ces manifestations constituent le plus grand mouvement social que le Royaume-Uni a connu depuis les années 1980. « C’est un moment porteur d’espoir, les syndicats sont mêmes redevenus populaires ! », ironise le réalisateur.

Le cinéaste a exprimé sa gratitude d’être l’invité d’honneur du Festival de Saint-Denis. Cette ville n’est pas sans rappeler celles qu’il a mises à l’écran : les zones ouvrières et les populations immigrantes en sont les dénominateurs communs. Toutefois, ce qui l’intéresse n’est pas tant la cohabitation des différentes cultures et générations mais bien ce qui les unit : ils sont placés sous le regard des employeurs et des propriétaires, uniquement intéressé par le profit qu’ils peuvent tirer de ces populations. Cet écart irréconciliable entre ceux qui vendent leur force de travail et ceux qui disposent des moyens de productions se retrouve dans l’industrie du cinéma. Pour Ken Loach, le cinéma est un média absolument brillant, en ce qu’il permet de dépeindre des histoires et des personnages à l’infini, « mais ce que nous en avons fait est infime ». En effet, les artisans du cinéma que sont les réalisateurs doivent se plier aux choix des studios de production et des financiers, qui réduisent considérablement les potentialités créatives au profit de la rentabilité des projets.

Toutefois, ces limitations imposées par la recherche de bénéfices ne l’ont pas empêché de construire une œuvre réaliste et humaniste, esthétiquement et politiquement cohérente. Profondément ancré dans la réalité des travailleurs précaires et des laissés pour compte du néolibéralisme, il n’a eu de cesse « d’exprimer un point de vue, non pas sur la classe ouvrière, mais de la classe ouvrière ». Et quelle n’a pas été notre joie lorsqu’il a annoncé qu’« il y aura bien un nouveau film… Je ne vais pas en dire grand-chose car ça porte malheur, mais l’intrigue se déroule dans une région où des mines ont été fermées et où des réfugiés syriens sont accueillis. » Le film sortira cette année et pourrait bien être présenté au Festival de Cannes… une parfaite occasion pour Ken Loach de devenir l’unique réalisateur aux 3 palmes d’or ! 

 

Which side are you on ? : mise en image et en musique de la grève des mineurs  

Durant toute la journée du 7 février, les Journées cinématographiques ont présenté sept films du réalisateur parmi les plus nominés et les plus récompensés. Outre ses deux Palmes d’Or reçues au festival de Cannes pour ses films Le vent se le?ve (2006) et Moi, Daniel Blake (2016), il a également obtenu trois prix du Jury au me?me festival pour Secret Défense (1990), Raining Stones (1993) et La Part des Anges (2012), ainsi qu’un César du meilleur film étranger pour Land and Freedom (1996). Riff-Raff (1991), The Navigators (2001), Sweet Sixteen (2002), et Sorry, we missed you(2019) étaient également au programme de cette rétrospective.

Si son œuvre est essentiellement fictionnelle, sa filmographie comporte trois documentaires : Which side are you on ? (Songs, Poems and Experiences of the Miners’ Strike), consacré à la grande grève des mineurs anglais de 1984 ; Les Dockers de Liverpool (sous-titré « un essai de morale contemporaine », 1997) ; L’Esprit de 1945 (2013), qui relate les grandes conquêtes sociales de l’après Seconde Guerre mondiale et leur mise à mal par le libéralisme économique. « Le documentaire a beaucoup d’importance pour moi, quand j’ai essayé d’affirmer des choses très ouvertement ou quand j’ai voulu laisser des gens s’exprimer directement. La plupart du temps, on passe par la médiation d’interviewers professionnels qui ne laissent pas les gens s’exprimer directement », a -t-il affirmé au sujet du cinéma documentaire.  

Accueilli par une standing ovation, Ken Loach est venu présenter son premier documentaire, dont le tire est celui d’un chant militant, classique du mouvement ouvrier : Which side are you on ?. Tourné en seulement cinq jours, le film témoigne de la grève des mineurs de 1984, de leur lutte contre le démantèlement de l’industrie du charbon orchestré par Margaret Thatcher. Si la Dame de Fer avait entrepris d’abaisser le coût de la main d’œuvre, s’attaquer aux mineurs était également le moyen de détruire le syndicat le plus puissant du pays. Cette grève de plus d’un an est l’une des luttes ouvrières parmi les plus marquantes de l’après-guerre. Soldée par un échec, elle a constitué le dernier obstacle à l’introduction du néolibéralisme par le gouvernement conservateur.

 

S’appuyant sur les chants et les poèmes qu’écrivaient les mineurs et leurs femmes, le documentaire rend compte de la construction d’une culture militante, montrant à quel point les grèves constituent des moments de libération et de création. Les communautés de mineurs, préalablement politisées et militantes, se sont trouvées consolidées et renforcées dans la lutte. En exposant leur quotidien, marqué par des violences policières sans retenue, le film s’est trouvé censuré au Royaume-Uni. Il n’a pu être diffusé qu’après avoir reçu un prix dans un festival documentaire italien et une fois la grève terminée et perdue, toute menace étant dès lors écartée. Le vent se lève avait été confronté à une autre forme de censure, venant de la part des programmateurs britanniques : seulement 40 salles avaient accepté de le diffuser, contre près de 400 en France.

A la suite de l’entretien animé par Tangui Perron, historien du mouvement ouvrier et du cinéma et programmateur au cinéma L’Écran, le public, venu en nombre, a pu poser des questions au réalisateur. Enfin, l’Intersyndicale du 93 a remercié le cinéaste pour sa participation à la lutte sociale, son cinéma participant indéniablement à remodeler les représentations de la classe ouvrière, contrant tout misérabilisme. Aussi, en ce jour de grève, une photo avec une banderole « Non à la réforme macron » était la meilleure de clôturer cette rencontre avec ce réalisateur, partisan de l’internationalisme !

 

© Wikipedia Commons

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Juliette Brunet

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