Danse
“Itmahrag”, d’Olivier Dubois : voyage dans un Caire festif et endiablé

“Itmahrag”, d’Olivier Dubois : voyage dans un Caire festif et endiablé

03 March 2021 | PAR Manon Bonnenfant

La nouvelle création du chorégraphe et danseur Olivier Dubois puise toutes ses origines et inspirations dans la jeunesse égyptienne. “Itmahrag” est semblable à une claque dans la figure. Ou une soirée signée par Gaspar Noé. Ou les deux. 

Après les flamboyants “Tragédie” en 2012 et “Élegie” en 2013, ou plus récemment “Tropismes”, Olivier Dubois approche sans doute de l’apogée de sa carrière avec son nouveau spectacle “Itmahrag”. C’est le fruit d’un long travail s’étendant sur des années, celles passées par le chorégraphe en résidence au Caire.  Il y rencontra son principal thème : la jeunesse égyptienne, oscillant entre esprit de fête et porteuse des stigmates d’un passé agité. A défaut de pouvoir se produire devant un public “normal” (ce mot n’est plus d’actualité depuis longtemps), une représentation s’est faite devant des professionnels de la culture au Cent Quatre. L’édition 2021 du Festival Séquence Danse s’ouvre donc avec cette boule d’énergie. 

Plongée dans les rues animées du Caire

Les lumières ne sont pas encore éteintes que le spectacle semble déjà avoir commencé : les 4 danseurs (Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto) et 3 interprètes-musiciens (Ali elCaptin, Ibrahim X, Shobra Elgeneral) discutent d’une voix forte sur la scène. Leurs membres s’agitent de par et d’autres, comme un tout dernier échauffement avant que les projecteurs ne soient braqués sur eux. Puis, la fête est lancée. En musique. Un élément dont Olivier Dubois ne déroge pas à ses habitudes et qui a donc une place fondamentale ici. Deux principaux genres s’entremêlent, soit le rap et l’électro. Le rap d’“Itmahrag” est chanté en langue arabe, et n’échappe pas au recours de l’auto-tune, dont les chanteurs en jouent même. Quant à l’électro, difficile de la décrire précisément… Explosive, nuancée, tantôt entraînante, tantôt relaxante. Agressive. Envoûtante. Cette musique s’inspire directement du “mahraganat”, un courant musical égyptien qui émergea quelques années après la Révolution de 2011. Une fois les dernières notes de cette introduction musicale finies, chacun se présente.

Le “mahraganat”, ou l’âme-même d’“Itmahrag”

Une énergie inouïe se dégage de ces jeunes hommes venant tout droits du Caire et avec qui Olivier Dubois travaille depuis des mois. Ils représentent la jeunesse populaire égyptienne, celle qui a essuyé une des plus grandes révolutions de l’histoire du pays en 2011. Celle qui en a hérité les bouleversements sociaux-économiques. Celle qui tente d’évoluer dans le présent actuel, jonché de nombreuses fêtes (la plupart clandestines depuis l’apparition du virus). Une fois les présentations – dans l’humour – faites, place au festoiement ! Les danseurs et interprètes enchaînent des mouvements que l’on peut associer au hip-hop ou contemporain, mais qui n’est en réalité ni l’un ni l’autre. Car le “mahraganat” (qui signifie “festoyer”) touche également la danse, et possède ses propres rapports au corps. Une musique et une danse mise en valeur par la mise en scène de Paf atelier, avec Olivier Dubois et Emmanuel Gary aux commandes de l’éclairage. Cette lumière, parlons-en. Omniprésente, aux couleurs primaires, forte, en partie déversée par un panneau rotatif, conférant à la scène une atmosphère psychédélique, fiévreuse, un tantinet effrayante (qui n’est pas sans rappeler la colorimétrie de “Climax”, Gaspar Noé). Les teintes varient souvent : claires, foncées, douces, puis frénétique (éclectiques s’abstenir !). Les corps – eux – s’agitent, courent, se bousculent, roulent au sol, piègent un danseur dans une toile de câbles électriques.

Danser, jusqu’à l’épuisement

Des chaises volent, de la fumée apparaît et nous capturent à notre tour au cœur d’un tableau mêlant fête endiablée et révolution violente. Ces instants fébriles sont contrebalancés par d’autres, beaucoup plus calmes et simples. Une sorte d’interlude durant laquelle les danseurs et chanteurs se regroupent pour discuter – dans leur langue maternelle – de leur vie quotidienne en tant que jeune égyptien, tout en nous traduisant certaines phrases en anglais. Et puis l’apogée, l’explosion vient lorsque tous s’écroulent, repus, le corps épuisé comme après une longue fête. La musique électro pulse, assourdissante, quoi qu’à un rythme stable. Un seul reste debout, survivant de cette épidémie dansante. Mais plus pour longtemps. L’excitation a été atteinte, l’énergie consommée jusqu’à son tout dernier milligramme. La fête est finie. Pour de bon ? Non, car elle se clôturera en chanson, comme à ses débuts. La réalité d’une jeunesse populaire, marquée par le “pendant” et l'”après” de la Révolution égyptienne fut dépeinte sous nos yeux. Et une sauvagerie qui s’en dégage, celle que l’on peut ressentir sur le moment présent, qui se déverse pendant que l’on met le passé – douloureux – derrière soi. 

“Itmahrag” d’Olivier Dubois est prévu pour plusieurs représentations en festivals (Biennales de Lyon, Paris, Marseille).

 

Les 8 et 9 juillet 2021 au Festival de Marseille

Visuel : ©Mossab El Shamy

(Berlinale) “The first 54 years” d’Avi Mograbi & dialogue avec Jean-Michel Frodon et Serge Lalou
Une gaudriole rossinienne preste et jouissive à Monte-Carlo
Manon Bonnenfant

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