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Fusion de la redevance audiovisuelle des incertitudes sur l’avenir de l’audiovisuel public

Fusion de la redevance audiovisuelle des incertitudes sur l’avenir de l’audiovisuel public

02 August 2022 | PAR Rachel Rudloff

Le 23 juillet dernier, a été votée dans le cadre de la loi pour le pouvoir d’achat, la suppression de la contribution à l’audiovisuel (CAP). Retour sur les enjeux de cet amendement.

 

La redevance audiovisuelle, qu’est-ce que c’est ?

Elle existe depuis 1930, et s’élevait jusque-là à 138 euros pour tous les foyers (en métropole) possédant au moins un poste de télévision, indépendamment de leurs revenus. Cette taxe, aussi appelée CAP (Contribution à l’Audiovisuel Public) servait à finançait les différentes chaînes de télévision publiques ainsi que leurs services de streaming (France Télévisions, Arte, Culture Box), mais aussi les radios publiques (Radio France, France Culture etc) ou encore l’INA (Institut National des Archives).

Jugée obsolète depuis plusieurs années par les différents partis de la classe politique, Emmanuel Macron avait promis sa suppression lors de sa deuxième campagne présidentielle. Le 23 juillet dernier, elle a été votée à l’unanimité : 150 voix (alliance des voix LR, LREM et RN) contre 57 (tous les partis composant la NUPES, c’est-à-dire écologiste, socialiste, communiste, LFI). Plus précisément, cette suppression a été complétée par un autre amendement : pour la compenser, il a été voté qu’une fraction de la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée, soit l’impôt direct sur la consommation) prendra le relais et servira à financer le service audiovisuel public. Cet amendement, porté par les députés Aurore Bergé (LREM) et Quentin Bataillon (Renaissance) et soutenu par Bruno Le Maire (ministre du Budget) devrait financer à hauteur de 3.7 milliards d’euros ce service audiovisuel.

 

Une solution jugée trop provisoire

Malgré tout, cette solution de compensation est jugée trop fragile par l’opposition. Quentin Bataillon lui-même, qui a proposé l’amendement, a avoué que cette loi des finances publiques ne permettra plus de financer les secteurs dont elle n’est pas issue dans quelques années. Dès 2025 donc, la TVA ne pourra plus servir à subventionner l’audiovisuel. Les professionnels du secteur, qui avaient déjà protesté contre la réforme à venir et le flou qui l’accompagnait s’interrogent donc : que se passera-t-il dans 3 ans ? La mise en place d’un nouveau mécanisme de subvention ou son abandon ? L’audiovisuel public semble être en sursis.

Un député insoumis, Manuel Bompard, avait aussi soulevé une autre question restée sans réponse : «C’est la question à laquelle vous n’avez jamais répondu : à quoi est consacrée aujourd’hui la fraction de la TVA que vous souhaitez consacrer à l’audiovisuel public ?» En effet, comme aucune augmentation de la TVA n’a été prévue, le mystère demeure complet. De plus, cette solution de garantie a été critiquée par une autre député LFI, Sarah Legrain, jugeant que la “TVA impôt le plus injuste et archaïque par excellence, payée par les plus pauvres”.

Ainsi, le risque court toujours que le Conseil Constitutionnel retoque cet amendement, malgré l’affectation d’une fraction de la TVA, pour atteinte à l’indépendance du secteur audiovisuel public comme l’avait souligné l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires culturelles durant le mois de juillet dernier.

 

Vers la privatisation des médias publics ?

En effet, cette mesure a provoqué une levée de bouclier chez les salariés et dirigeants de ces médias publics, inquiets pour leur indépendance et leurs financements futurs. Chez les députés NUPES, on s’inquiète déjà de la privatisation des chaînes publiques, comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni par exemple, où la BBC après le gel de la redevance par l’ex-premier ministre Boris Johnson, avait supprimé plus de 1000 emplois.

Pour le député LFI Alexis Corbière, “garantir l’indépendance de l’audiovisuel public est une condition de la démocratie“. Le groupe d’opposition craint la privatisation par le rachat progressif des chaînes et radios par les grandes fortunes qui possèdent déjà la majorités des chaînes privées, renforçant ainsi le phénomène de concentration des médias.

De son côté Gabriel Attal a assuré vouloir “garantir” l’indépendance de l’audiovisuel avec l’amendement de la fraction de la TVA, ayant souligné que ce n’était pas la redevance qui était garante de cette indépendance, mais l’ACOM (ex-CSA) qui est chargé de la nomination des dirigeants des médias publics. Pourtant, les groupes d’extrêmes droites (RN et Renaissance) se félicitent déjà de cette mesure. Caroline Parmentier, députée RN, rappelle elle-même que cette suppression est défendue par son parti depuis de nombreuses années comme un premier pas vers la privatisation totale.

 

D’autres solutions possibles ?

Malgré le soutien de la plupart des français -20% seulement souhaitaient sa suppression totale-, comme le montrait l’Enquête électorale de juin 2022 de l’économiste Julia Cagé, 34,5% des personnes interrogées sont favorables au remplacement de la taxe par une nouvelle, plus juste. En effet, tout le monde s’accorde à dire que la CAP était obsolète : à l’ère des smartphones, des ordinateurs et des tablettes, beaucoup ne possèdent plus de poste de télévision alors que tous les médias publics restent accessibles via internet.

Ainsi, des économistes et des députés ont réfléchi depuis plusieurs mois à des alternatives à la suppression de la redevance “reconnaissons que la redevance, devenue injuste et obsolète, doit être réformée et modernisée […] elle pèse d’avantage sur les foyers modestes, quand d’autres y échappent”. Dans une lettre ouverte parut dans Libération en juin dernier, les députés PS Boris Vallaud et David Assouline et l’économiste Julia Cagé défendaient une nouvelle “contribution universelle et progressive”, inspirée du modèle scandinave. Plus précisément, il s’agit d’une taxe progressive (basée sur les revenus), universelle ou sur les matériels électroniques, l’objectif étant de répartir cette taxe sur tous les foyers (et plus seulement ceux possédant un téléviseur), elle baisserait donc le montant de la redevance pour les foyers les plus modestes de 85%.

Ainsi, dans le contexte d’inflation actuel, il a été choisi de réformer la redevance audiovisuelle avec l’ambition de soulager les foyers aux revenus les plus faibles d’une taxe devenue injuste. Cependant, cette suppression interroge sur l’indépendance des médias publics et leur possible privatisation : devenue fraction de la TVA, on peut s’attendre à une renégociation annuelle de ce budget, voire dans 3 ans à reconfiguration totalement nouvelle de ce financement. Affaire à suivre donc.

Visuel : macron en 2022, wikicommons. 

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Rachel Rudloff

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