Euzhan Palcy, la deuxième Française à recevoir un Oscar d’honneur
Pionnière du cinéma hollywoodien et figure du combat pour la représentation des communautés noires, la réalisatrice Euzhan Palcy reçoit un Oscar d’honneur lors de la cérémonie qui se tenait samedi 19 novembre à Los Angeles. Distinguée pour l’ensemble de sa carrière, elle devient la deuxième Française à se voir attribuer ce prix tant convoité dans le monde du cinéma.
Portrait d’une femme de culture à la recherche de l’authenticité
L’Afrique comme personne n’a jamais osé l’imaginer, tel est le travail auquel Euzhan Palcy s’est adonnée pendant plus de vingt ans. Si aujourd’hui la représentation se doit d’aller au-delà de la simple illustration de peaux de couleurs différentes dans notre quotidien, il y a peu, la réalité était tout autre. “Nous n’étions pas sur les écrans, nous les Noirs”. Née en 1958 dans une commune de Martinique, la réalisatrice s’offusque dès son plus jeune âge du manque de représentation de la communauté noire sur nos écrans. Encouragée par une figure paternelle attentive, elle réalisera son premier court-métrage en 1982, à l’âge de 24 ans.
La production de l’Atelier du diable la conforte à continuer sur cette voie et à poursuivre en parallèle son combat pour casser le plafond de verre qui s’impose à elle et à la communauté noire dans le monde du cinéma. Un rôle qu’elle prend à cœur et qui ne lui fait pas défaut puisqu’en plus d’avoir permis d’ouvrir de nombreuses portes aux jeunes talents inspirés par ses travaux, Palcy sera la première femme noire produite par une major d’Hollywood.
Inconnue au bataillon en France, Euzhan Palcy est pourtant fréquemment sollicitée et célébrée de l’autre côté de l’Atlantique. L’œuvre importante de la réalisatrice a marqué des générations de cinéastes, d’acteurs et actrices afro-américain•e•s et antillais•e•s tout au long de ces dernières décennies. C’est de l’observation de son environnement que naît l’incompréhension de Palcy quant aux choix des producteurs de ne pas mettre en avant les personnes de couleur dans leurs réalisations. À ses côtés, elle ne voyait que des gens beaux et “très comédiens” dans la vie.
Sa passion du cinéma lui vient du film incontournable de Marcel Camus diffusé dans son village alors qu’elle n’avait que 4 ans : Orfeu Negro. Adaptation cinématographique d’une pièce de Vinícius de Moraes, le film met en scène Breno Mello et Marpessa Dawn, un acteur et une actrice issus de la communauté afro-américaine dans une comédie romantique aux airs dramatiques. Pour Palcy, c’est le coup de foudre, “c’était la première fois que je voyais des Noirs sur cet écran, des Noirs avec leur dignité, leurs qualités, leurs défauts”.
Retour sur une filmographie marquante pour l’histoire du cinéma
Même si Euzhan Palcy se défend d’être militante, le travail de réhabilitation de l’histoire martiniquaise reste cardinal de ses œuvres et de sa carrière. C’est pour ces mêmes choix que l’Académie des Oscars décide de lui décerner cette distinction suprême ce samedi 19 novembre. Un Oscar d’honneur qui veut récompenser l’ensemble de sa carrière. Elle succède ainsi à la réalisatrice Agnès Varda qui s’était vu offrir la même distinction en 2017. L’Oscar est remis des mains de l’actrice Viola Davis, jouant notamment dans le film The Woman King et déclarant qu’avec ses films et tout son travail, “Euzhan a été une inspiration pour moi, pour les cinéastes, les scénaristes, et autres artistes contemporains”.
Sa carrière prend rapidement un tournant dans le début des années 1980 avec la réalisation de son premier long-métrage Rue Cases-Nègres. Une carrière étroitement liée à la répercussion mondiale que ce film obtient, notamment en Amérique. Traduit sur la scène internationale, Sugar Cane Alley est une adaptation du livre La Rue Cases-Nègres de l’auteur Joseph Zobel que Palcy a pu lire alors qu’elle était encore adolescente. Cette œuvre lui vaudra d’être récompensée par un total de 17 distinctions comprenant le César de la première œuvre, décernée en 1984, ainsi que le prestigieux Lion d’argent remis à la Mostra de Venise. À seulement 26 ans, la réalisatrice devient alors la première femme noire à décrocher cette distinction, mais également la première artiste noire à recevoir un César.
Avec cette première réussite dans le monde du cinéma, les portes d’Hollywood lui étaient désormais grandes ouvertes. Elle ne s’arrêtera pas sur ce succès puisqu’elle se lancera rapidement dans la réalisation d’un second long-métrage Une saison blanche et sèche. Elle réussit à motiver l’acteur Marlon Brando à revenir sur scène, mais également à signer auprès du grand studio hollywoodien MGM pour cette adaptation du best-seller anti-apartheid A Dry White Season de l’écrivain sud-africain André Brink. Une première pour le pays puisqu’elle est la seule réalisatrice toutes catégories et genres confondus, à avoir pu réaliser un film anti-apartheid alors qu’un système ségrégationniste était encore en place. Ce film lui vaudra la reconnaissance de Nelson Mandela qui la rencontrera en 1995 après sa libération pour la féliciter en personne.
Ses autres films seront tout autant salués du public et lui permettent notamment de se voir garder une place d’honneur dans les festivals de cinéma du monde entier. Avec Siméon qu’elle réalisera en 1992 et Ruby Bridges en 1998, la réalisatrice rendra encore une fois hommage à la communauté afro-américaine et antillaise. Le téléfilm Ruby Bridges coproduit par Disney sera diffusé sur la chaîne ABC depuis la Maison-blanche le 18 janvier 1998, encore une première pour Palcy qui ne cesse d’être saluée pour son travail et sa détermination.
Lors de la cérémonie de remise des prix, Euzhan Palcy déclarera :
“Je n’étais pas derrière la caméra, en train de faire ce pour quoi Dieu m’a mis sur cette terre : diriger ma caméra, mon arme miraculeuse, comme je l’appelle, pour mettre en lumière notre humanité collective sur l’écran. Avec mon appareil photo, je ne filme pas, je guéris.“
Visuel : © VALERIE MACON / AFP