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ENSA en lutte : enseignants, administrations et étudiants au cœur de la bataille

ENSA en lutte : enseignants, administrations et étudiants au cœur de la bataille

22 March 2023 | PAR Elisa Barthes

Un climat de protestation a envahi les salles de classe des Écoles nationales supérieures d’Architecture de France. Depuis la fin du mois de janvier, étudiants, enseignants et personnels administratifs manifestent et bloquent leurs établissements. Si chaque corps a ses propres revendications, tous luttent main dans la main, s’inscrivant dans un mouvement social plus global.

Cela fait maintenant deux semaines que les Écoles nationales supérieures d’Architecture ont commencé à faire entendre leurs revendications. Les blocages commencent à Rouen lorsque la rentrée, prévue le 30 janvier, se voit décalée de plusieurs jours. En cause, l’impossibilité de gérer la charge administrative de la rentrée faute de personnel. Marina Hardy, étudiante en 3e année de licence à l’ENSA Normandie et élue au conseil d’administration de l’établissement, témoigne des problèmes structurels à l’origine de ce mouvement. « Il y a une agente qui a porté à elle toute seule l’organisation du semestre dernier. Pas si étonnant qu’elle ai fait un burnout. » Très vite, nombre d’écoles d’autres régions s’engagent, tant pour soutenir l’école normande que pour faire valoir leurs propres problématiques. À présent, les vingt écoles d’architecture sont actives dans la lutte. Mais si l’alliance a rapidement pris de l’ampleur, le mouvement ne date pas d’hier. Dès 2019, des revendications se font entendre au sujet du manque de budget alloué par l’État aux écoles, mais elles sont rapidement interrompues par l’arrivée du Covid. Pour autant, cette initiative fait le lit de l’alliance bien plus grande qui s’affirme aujourd’hui.

Le statut des enseignants remis en cause

Les revendications du corps enseignant occupent également une place importante dans le mouvement. Estelle Thibault, professeure en histoire et culture architecturale à l’ENSA Paris Belleville, rapporte des difficultés existantes depuis plusieurs années déjà. «Les contractuels ont des revendications de longue date liées à leur rémunération très faible, voisine du smic et qui n’a été que faiblement revalorisée. Par exemple il y a des personnes qui peuvent avoir vingt ans d’expérience dont les rémunérations n’évoluent pas.» Les enseignants titulaires sont également concernés. La réforme de 2018, devant leur permettre de consacrer une partie de leur temps à de la recherche en allégeant le nombre d’heures d’enseignement, très supérieur à celui des enseignants chercheurs de l’université, a en réalité augmenté leur charge de travail. «Pour compenser cela, le ministère de tutelle avait promis des postes supplémentaires en l’occurrence 150 postes. Seuls 80 ont été créés. »

Précarité et enseignement, au cœur des questionnements

Dans toute la France, les étudiants se mobilisent massivement en soutien à leurs professeurs et au personnel administratif. Cela ne les empêche pas d’avoir leurs propres revendications, comme nous l’explique Lou Van Rÿssel, étudiante en 3e année à l’ENSA Paris Belleville : «Un des objectifs est de retrouver une égalité entre les étudiants des différentes ENSAs, parce qu’on n’est pas forcément tous logés à la même enseigne». La différence de moyens se fait en effet ressentir dans les locaux des établissements. L’ENSA Paris Belleville dispose d’un établissement récent et en bon état, tandis que d’autres écoles comme la Villette ou Grenoble ont plus de difficultés. «Il y a des locaux très vétustes dans lesquels il peut y avoir des trous dans le plancher, ou la pluie qui s’infiltre» nous confie Lou. Un rapport de l’inspection générale des affaires culturelles datant de 2020, a également révélé que l’État dépense en moyenne 8 500 € par étudiant en école d’architecture, contre 10 600 € pour ceux en université et 15 000 € en prépa des grandes écoles. Des inégalités pour eux inacceptables, «ce rééquilibrage là est à nos yeux très important dans le sens où il témoigne d’une certaine hiérarchie que pourrait imposer l’état dans les études en France» affirme l’étudiante.

La précarité étudiante est également présente dans les débats. Elle touche particulièrement les écoles d’architecture, d’après Lou «il y a un problème assez majeur dans nos études, c’est le coût du matériel aux frais de l’étudiant». Malgré les tentatives de faire changer les choses, la situation reste inchangée. De plus, elle s’aggrave ses derniers mois avec l’augmentation globale des prix, due à l’inflation, et à la pénurie de matériaux comme le bois. «Beaucoup d’étudiants doivent décider entre acheter leur matériel pour faire les maquettes ou manger» s’exclame-t-elle, indignée.

Les méthodes d’enseignement sont remises en question, à travers des échanges entre étudiants et professeurs. Ils remettent en cause un apprentissage en désaccord avec les enjeux du monde actuel, comme l’affirme Samuel Piolle, étudiant en 2e année à l’ENSA Paris Belleville. «Est-ce que l’architecture qu’on va devoir penser demain peut découler d’un enseignement pensé il y a plus de vingt ans ou quarante ans ? La réponse paraît assez évidente. Il faut changer la structure de notre enseignement pour pouvoir penser l’architecture qu’on veut mener au long terme.»

Une parenthèse offrant de nouvelles opportunités

Que les cours soient banalisés ou non, chacune des vingt écoles d’architecture a mis en place des moyens de communication et d’échange. Celles ne faisant pas de blocage ont par exemple orienté leurs cours vers des questions de mobilisation et de lien entre politique et architecture. Les autres en profitent pour organiser des assemblées générales, des tables rondes ou encore des ateliers de réflexion. Samuel explique que «les grèves n’ont pas pour volonté de bloquer totalement l’école, c’est un blocage des enseignements pour avoir des temps de réflexion collectifs». Différents pôles se sont créés au sein de l’établissement, comme le pôle vie de l’école, information ou communication, afin d’organiser les mobilisations et de se questionner sur des sujets plus larges comme le féminisme et les discriminations.

Dans cette lutte, élèves et enseignants échangent constamment, une situation inédite et très enrichissante pour les deux côtés. Estelle Thibault note l’intérêt des échanges. «Cela a permis aux étudiants de faire remonter un certain nombre d’insatisfactions vis-à-vis de l’enseignement. Ils ont montré qu’ils étaient capables de participer et de d’être acteurs de leurs études.» Samuel, quant à lui, voit ce temps comme un levier d’action et de possibilité de changements. Il a notamment participé au développement de l’association sur l’écologie au sein de l’école, nommée Bell’EChO. Une initiative porteuse d’espoir pour façonner l’architecture de demain.

Enquête réalisée avec la participation de Jessamine Gas.

Visuel : © Ensa en lutte

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Elisa Barthes

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