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Disparition de l’écrivain américain Russell Banks

Disparition de l’écrivain américain Russell Banks

09 January 2023 | PAR Juliette Brunet

Figure incontournable de la littérature américaine contemporaine et fin observateur de l’Amérique des déclassés, le romancier Russell Banks est mort ce samedi 7 janvier. Il s’est éteint à l’âge de 82 ans à Saratoga Springs dans l’État de New York. Son œuvre englobant poésies, romans et nouvelles l’a conduit à être deux fois finaliste du prix Pulitzer et à devenir le porte-parole des laissés-pour-compte du rêve américain. Depuis 1998, il était membre de l’Académie américaine des Arts et Lettres et enseignait la littérature contemporaine à l’Université de Princeton.

Né en 1940 dans le New Hampshire, Russell Banks grandit dans un milieu extrêmement modeste. Fils d’un plombier alcoolique, son parcours illustre la figure du transfuge du classe. Après avoir également exercé en tant que plombier, il entre à l’Université de Caroline du Nord, une première dans sa famille. Toutefois, il n’achèvera pas ses études, préférant partir sur les routes, voyages dont naîtront plusieurs récits. Sa carrière d’auteur débutera pleinement à la suite d’un atelier d’écriture dans le Vermont, à la suite duquel Nelson Algren, l’auteur de l’Homme au bras d’or, le prend sous son aile. Son premier roman, Family Life, paraît en 1975, ouvrant la voie à une vingtaine d’œuvres marquées par les thèmes de la recherche la figure paternelle et de la misère des classes défavorisées.

De livre en livre, Banks dépeindra tour à tour les déviances et les violences qui marquent la société américaine, au travers des portraits de ses exclus et de ses parias. A rebours de l’American Dream, ses narrations dressent une fresque où se côtoient pauvreté, toxicomanie, violences de classe et raciales. Le célèbre roman Continents à la dérive (1985) met en exergue les espérances et les désillusions de Bob Dubois, réparateur de chaudières dans le Hampshire, et Vanise Dorshinville, fuyant la violence et la pauvreté d’Haïti pour gagner les États-Unis. Ces deux personnages, séparés de plusieurs milliers de kilomètres, partageront les souffrances de l’exode et du déclassement social, constatant que les promesses américaines de prospérité et de réussite ne resteront jamais que des chimères.

Se tenant une fois de plus dans le New Hampshire, le récit d’Affliction (1992), dénoncera quant à lui les valeurs viriles de l’Amérique, au travers de l’existence brisée de Wade Whitehouse, confisquée par la tyrannie paternelle. Le portrait d’un père de famille à la personnalité écrasante dans Pourfendeur de nuage (1998) témoigne également de l’ombre de la figure paternelle qui plane sur toute l’œuvre de Banks, depuis Sous le règne de Bone, paru en 1995. Plus récemment, dans Lointain souvenir de la peau (2012), le romancier s’était attaché à décrire les dérives de la pornographie en ligne et les conséquences du virtuel sur la sexualité par le biais du personnage d’un jeune délinquant sexuel.

Russell Banks était également connu pour son engagement politique, dépassant le seul cadre de son œuvre littéraire. En effet, il n’a pas hésité à prendre position publiquement contre son gouvernement à la suite du Patriot Act en 2001 et de l’intervention américaine en Irak en 2003. Par ailleurs, il a fondé et présidé l’organisation Cities of Refuge North America, dont la mission est d’offrir des lieux d’asile pour des écrivains menacés ou en exil. De 1998 à 2004, il a également présidé  le Parlement international des écrivains créé par Salman Rushdie.

La renommée et le succès des romans de Banks permettront à trois d’entre eux d’être adaptés au cinéma. Le Canadien Atom Egoyan portera à l’écran De Beaux lendemains, avec une telle justesse que le film rapportera le Grand prix du Festival de Cannes en 1997. La même année, Paul Schrader réalisera l’adaptation d’Affliction, avec Nick Nolte dans le premier rôle. Artiste multiple, Russell Banks avait lui-même écrit une adaptation du livre légendaire de Jack Kerouac, Sur la route, réalisé par la suite par Francis Ford Coppola. L’incontournable American Darling a également fait l’objet de projets d’adaptation par Martin Scorsese en 2007, puis Denis Villeneuve en 2014. Projets qui n’ont cependant pas encore vu le jour…

Dans son dernier roman Oh Canada, publié en septembre 2022, l’auteur dressait le portrait d’un vieil homme à la fin de sa vie, avec ses regrets et son amertume, illustrant ceux d’une génération d’américains progressistes dont il faisait partie. Cette dernière pierre à l’édifice de son œuvre témoignait de sa propre lutte contre la maladie, peignant ses états d’âmes et son affaiblissement physique. Adoptant un registre plus intime, Banks y racontait la mort de l’intérieur, le personnage de Fife préfigurant sa propre disparation. Il laisse derrière lui un héritage de plus de vingt récits de fiction et non-fiction, et une empreinte indélébile sur la scène littéraire américaine et internationale.

Visuel : créatives commons

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Juliette Brunet

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