Christine Boutin et Twitter: un obscurantisme loin de la lumière divine…

« Le médium c’est le message » concluait déjà Mc Luhan en 1964 dans sa conception du village global. Sur l’outil de microblogage Twitter, pas de place à l’argumentation éclairée puisqu’en matière d’usages et de structure-même de la plateforme, rien ne s’y prête. Le candidat au « buzz » n’a donc droit qu’à un tweet de 140 signes et pas un de plus. Depuis sa création en 2006, beaucoup ont su rivaliser de débordements, de provocations, d’attaques et de déballages d’ignorance. Si les flots d’anonymes ont souvent la réputation d’en être les auteurs, les personnalités publiques nous gratifient de plus en plus de leurs réflexions indélicates sur l’actualité. Mais l’une d’elle n’a pas son pareil en la matière et a transformé son compte Twitter en véritable mine d’or ces derniers mois en particulier. Marine le Pen? Frigide Barjot? Non, Christine Boutin.
L’esprit si spirituel de la présidente du Parti Chrétien-démocrate et ancienne ministre du Logement s’est encore illustré Mardi 14 Mai suite à la tribune d’Angelina Jolie dans le New York Times au sujet de sa double mastectomie.

La célèbre actrice a en effet tenu à témoigner de sa décision radicale de procéder à l’ablation préventive de ses deux seins: « Je porte un gêne défectueux, le BRCA1, qui augmente de façon significative les risques de développer un cancer du sein. (…) J”ai voulu écrire pour dire aux autres femmes que ma décision n’était pas facile. Mais que je suis heureuse de l’avoir prise. Mes risques de développer un cancer du sein sont passés de 87% à 5%. Et je peux dire à mes enfants qu’ils ne doivent pas craindre de me perdre. (…) J’ai la chance d’avoir un compagnon, qui m’aime et me soutient (…) Pour toutes les femmes qui lisent ces lignes, j’espère que cela vous aidera de savoir que vous avez le choix. Je veux encourager chaque femme, surtout celles qui ont des antécédents familiaux, à se renseigner et à faire des examens médicaux préventifs ».
Soutien, indifférence ou raillerie, chacun dispose de sa libre expression, même si, parfois, nous aimerions que certains nous en épargnent. Mais ce serait bien mal connaître la déesse de la phrase choc. « Pour ressembler aux hommes ? Rire ! Si ce n’était triste à pleurer » pouvait-on ainsi lire, abasourdi, sur son compte Twitter officiel. Elle qui nous avait pourtant habitués à un florilège de bêtise vindicative et outrancière au sujet de l’opposition à la loi permettant le mariage homosexuel, a franchi un pas de plus dans l’indécence.

Stratégie politique et médiatique? Amusement et ironie face aux regards friands et avides de ses lecteurs et détracteurs? Ses lignes qui viendront deux jours plus tard invalideront ces hypothèses. A commentaire trivial, réponse triviale. La déferlante de tweets se propage et atteint Facebook. Très vite, sa page officielle doit déclarer forfait suite à l’opération « caca Boutin » menée de front par les internautes interloqués, souillant son mur de petites crottes aux yeux ahuris. Habermas, penseurs, chercheurs et professionnels des médias et sciences sociales doivent surement hésiter entre rire et larmes.
Mais Christine Boutin, femme moderne, est insurgée voyez-vous, et c’est justement en tant que citoyenne avertie qu’elle tente de s’expliquer sur le site de son parti (actuellement inaccessible…) le Jeudi 16 Mai à propos de ce fameux tweet incandescent.

Assurant qu’elle « ne se voulait d’aucune manière blessante », plusieurs notions étaient donc impliquées. La mastectomie d’Angeline Jolie poserait ainsi « la question et les limites de la médecine prédictive, qui supprime par avance la possibilité d’un mal qui n’est pas encore développé! Et qui n’empêchera pas le développement d’autres cancers sur d’autres organes. ». Rappelons tout de même que selon l’actrice, avoir ce gêne défectueux BRCA1 représente un risque de 87% de développer un cancer du sein, 50% celui de l’ovaire et que sa mère est décédée de cette cause.
Après avoir revêtu la blouse blanche du corps médical, Christine Boutin se fait à présent marxiste: « La médecine serait-elle réservée à ceux qui ont de l’argent? N’oublions pas cette opération coûte cher. Nous pouvons y voir une consécration de la société des riches. N’y a-t-il pas là l’expression d’un appétit dérisoire de toute puissance? (…) J’ai voulu attirer l’attention de tous sur la société qui fait croire que l’on pourra éradiquer toutes les maladies, sur une société qui crée du rêve en creusant l’écart entre riches et pauvres » Mais face à la pertinence douteuse de ses arguments, il faut bien invoquer l’existence tangible d’un scandale « De plus, désormais Angelina Jolie portera a priori des prothèses. Devant le récent scandale des prothèses PIP, le cas Angelina Jolie pose plus de problèmes que de réponses. ».
Le coup de maître réside sans doute dans la conclusion « Je m’inquiète aussi de cette société où la vie privée et intime est rendue publique au niveau mondial. J’affirme que cette médiatisation outrancière est une violence faite à toutes les femmes qui, à la suite d’un cancer ont du subir l’ablation d’un sein. » A ce sujet, il n’est pas certain que ces dernières aient ressenti la chaleur, la considération, la compassion chrétiennes à travers le brillant trait d’esprit de ce tweet digne des plus grandes blagues misogynes de Bigard…

Semaine décidément chargée pour Christine Boutin qui voit son cauchemar se réaliser: François Hollande promulgue la loi sur le mariage pour tous dès samedi. Empoignant son clavier et se parant de sa plus belle rhétorique, elle mitraille une demi-douzaine de tweets identiques en l’espace de quelques minutes aux médias informant de cette décision sur Twitter: « @x s’il le fait il est inconscient! »

Au delà des idées promues par cette politicienne, considérées comme ridicules par certains, recevables pour d’autres, sa figure est assez emblématique de cette volonté effrénée de recherche, de production d’une visibilité médiatique par tous les moyens. Cette dernière est souvent présentée comme une condition du succès et de légitimation d’une position sociale au sein d’une discussion publique, même si elle est toutefois tributaire du crédit qu’autrui lui accorde. C’est précisément sur ce point que les réseaux sociaux brouillent les pistes.
Dans les médias, ce dont on ne parle pas n’existe pas. Il serait donc bien simple de faire taire en prenant le parti de ne pas relayer l’affaire. Mais le lien social est créé par la parole qui doit circuler en permanence, indépendamment du contenu de l’information. Ces réseaux sont ainsi garants d’un flux verbal constant qui rapproche, fédère des clans qui se retrouvent. On adore détester et la saturation émotionnelle. Christine Boutin semble alors parfaitement maitriser un exercice de style, pour une fois…

Charlotte Dronier