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« Jumbo », avant-première bruxelloise de la fable audacieuse de Zoé Wittock

« Jumbo », avant-première bruxelloise de la fable audacieuse de Zoé Wittock

14 March 2020 | PAR Romy Trajman

Jeanne, une jeune femme timide, travaille comme gardienne de nuit dans un parc d’attraction. Elle vit une relation fusionnelle avec sa mère, l’extravertie Margarette. Alors qu’aucun homme n’arrive à trouver sa place au sein du duo que tout oppose, Jeanne développe d’étranges sentiments envers Jumbo, l’attraction phare du parc

Dès les 1ers plans de JUMBO, Jeanne, une jeune lycéenne enfile maladroitement son jeans. Caméra sur son corps, en speed. Sa silhouette est celle d’une jeune femme et pourtant, une fois habillée, Jeanne redevient enfant. Ou plutôt garçonne. De celles qui ne « rentrent pas dans le territoire » : de l’époque, du genre ou de la société. Elle est jolie, elle ne le sait pas. Elle a une poésie, elle ne l’entend pas : Même le son de sa voix a quelque chose de celui des sourds, de ceux qui jaillissent, d’un jet, en éclat brisé. Jeanne est ailleurs ou d’ailleurs. On ne sait pas où. Elle non plus.

Elle habite un n°2 d’une rue pavillonnaire non identifiable (on se croirait dans une province américaine, on est dans les Ardennes). 2 : Comme elle et sa mère. 2 : Ce couple fusionnel et monoparental, qui s’aime autant qu’il semble s’étouffer. Margarette, sa mère, est serveuse dans un bar, décolleté, hanches, elle danse et s’anime au contact des hommes. Ses bijoux sont sonores, elle parle fort. Jeanne est muette. Petit carré court. Son corps semble froid, immaculé. Elle bricole, des guirlandes lumineuses, des objets en ferrailles, mais surtout « JUMBO », reconstitution miniature de cette attraction géante dont elle s’occupe le soir, de nuit, dans le parc d’attraction de province dont elle est employée. Jeanne est-elle Asperger, autiste, ou simplement différente ? Les plans s’attardent sur ses mains, qui mangent un sandwich, qui retaillent un fil de fer, qui blinquent la surface, métallique, de JUMBO.

JUMBO. A son nom, Jeanne vibre. A son nom, Jeanne s’allume. Peut-on désirer un objet ? « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? » répète la jeune héroïne, comme aimantée. Ce pitch complètement dingue, a surgi chez la jeune réalisatrice, Zoé Wittock, après avoir entendu à la radio un fait divers : Une femme américaine demandait en mariage la tour Eiffel. Clin d’oeil d’ailleurs, ce parallèle. Car s’il ne reste plus grand-chose du fait divers initial, la rencontre franco-américaine, elle, subsiste et infuse le film de tout son long : entre réalisme et science-fiction, entre drame familial – limite thriller psychologique – et teen-movie américain, JUMBO n’a rien de « franco-français » justement et se déploie, avec insolence (la réalisatrice est belge, la production, franco-belgo-luxembourgeoise).

Ce que l’on retiendra, c’est la radicalité du sujet et l’audace formelle de ce 1er film, porté par une réalisatrice pendant 8 ans. A la force du poignet.
Mais aussi la performance de Noémie Merlant, qui captive : son jeu singulier et sa démarche de Jeanne d’Arc décapsulée. Film OVNI – comme l’est son manège à sensation – JUMBO twiste nos codes et pose cette question fondamentale de l’altérité, de la marge et du pouvoir d’aimer. Touchant, anachronique et vibrant.

Jumbo, de Zoé Wittock,  avec Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot, Bastien Bouillon, 2020, 1h33, Rezo films, sortie repoussée ay 18/03/2020

Crédit photos : © Kwassa Films/Rézo Films + Romy Romy Trajman.

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