Politique culturelle
Martine Segalen : “l’amour n’est pas un ingrédient social suffisant pour assurer la pérennité de la société”

Martine Segalen : “l’amour n’est pas un ingrédient social suffisant pour assurer la pérennité de la société”

13 February 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Martine Segalen  est sociologue et ethnologue. Elle a publié chez Gallimard un Éloge du mariage en  2003 et travaille actuellement à la rédaction de la huitième édition de la Sociologie de la famille. Notamment,  elle dirige  la revue Ethnologie française et enseigne au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Paris X. Depuis 1996, elle est la tête du département de sociologie. Elle a accepté de répondre à nos questions sur la signification du mariage en 2013.

Il y a-t-il une explication à cette frénésie qui a vu s’opposer dans la rue les pour et les contre « Mariage pour tous » ?

Cela prouve que c’est une question très sensible contrairement à ce que le gouvernement pouvait imaginer. La surprise vient de la force de l’engagement de ceux qui sont contre. Dans sa campagne, François Hollande s’appuyait sur des enquêtes disant que les gens n’étaient plus homophobes. Je pense que c’est une des “promesses” qu’il pensait faire passer sans vague. La première surprise est de voir, au-delà de ce qui se passe dans les partis politiques et au-delà de la lutte qu’a menée l’UMP à l’Assemblée Nationale, que ça touche profondément la société française. Cela est très paradoxal, car nous sommes une société laïque. Cela veut dire que ça touche à une Institution. Ce projet de loi arrive à un moment d’inquiétude, où les vrais sujets dans les familles sont les études des enfants et le chômage des jeunes. Ce n’est pas la faute de Hollande, c’est un ensemble de circonstances.

dedans, qu’est-ce que le mariage ?

Le mariage est différent pour tout un tas de gens. Pour une partie de la société, il représente un engagement symbolique et social important qui intervient à un moment où le couple est déjà fondé puisque le mariage ne constitue plus, comme c’était le cas jusque dans les années 60, l’entrée dans la vie sexuelle et sociale : plus de 50% des enfants naissent hors mariage.  Mais ceux qui décident de se marier le font avec d’autres rituels, par exemple en organisant de très grandes fêtes. Beaucoup de couples ne se marient pas pour des questions financières. La société a mis sur le même plan juridique les couples mariés et non mariés. La question centrale est celle de la filiation. Jusque dans les années 60, le mariage servait à établir la légitimité de la filiation vis à vis du père. Tout a changé avec les progrès de  techniques génétiques qui ont permis de savoir exactement qui était le père et qui ont ouvert la voie aux transformations techniques extraordinaires qui se rassemblent sous l’acronyme PMA. Cela englobe l’insémination qui est la technique la plus simple et  des choses beaucoup plus compliquées. C’est le lien entre mariage et filiation qui pose problème à un certain nombre de gens, ils butent sur l’idée que l’on puisse avoir une double filiation par deux hommes ou deux femmes. Le mariage tel qu’il  est prévu pour les homosexuels va donner une protection matérielle aux couples.

Est-ce paradoxal ?

Oui, dans les années 1970, le mariage a cessé d’être en cours car on le rejetait justement dans ses aspects matériels : ce qui était condamné était  le mariage bourgeois qui assurait la survie du patrimoine ou un mariage qui était arrangé par la famille pour les aspects économiques… Et maintenant, ce que réclament les homosexuels c’est une protection vis à vis de l’héritage de l’un ou de l’autre, protection qu’ils n’ont pas dans lePACS. Il y a aussi tout un discours sur l’amour qui dit “on a le droit de faire couple”. Oui, mais l’amour n’est pas un ingrédient social suffisant pour assurer la pérennité de la société. L’amour est quelque chose de fragile et d’éphémère, il y aura autant de divorces d’homosexuels que d’hétérosexuels

On a la sensation, concernant la représentation du mariage qu’il n’est plus le “happy end” des séries ou des films.

Le mariage était le happy end des films américains dans les années 60, dans des années de liberté économiques, politiques, sociales où la société offrait des jobs. Dans les films, les couples voulaient se marier contre l’avis de leurs parents. Aujourd’hui, ils tournent autour des difficultés des unions des couples. Le mariage n’est que le début d’un film qui raconterait la longue marche des couples actuels qui font des enfants et qui ensuite se déchirent.  Mais cela ne dégoûtent pas 480000 personnes de se marier chaque année. Il y a tout de même une chute des mariages qui a été fagocitée par le PACS qui permet de se séparer sans passer par la case avocat. On voit très bien qu’il y a une progression très rapide du PACS qui au départ a été conçu pour protéger la détresse des homosexuels qui étaient touchés par l’épidémie de sida. Et finalement il y a seulement 2% de PACS homosexuels. Le PACS concerne, dans son immense majorité les hétérosexuels.

 

Visuel : (c) Capture d’écran Stock

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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