Théâtre
Mariage sur planches : se dit-on oui au théâtre ?

Mariage sur planches : se dit-on oui au théâtre ?

13 February 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Si le théâtre classique regorge d’enjeux autour de la question de l’engagement et du mariage, thème, vous l’aurez compris, du dossier Mariage de Toutelaculture, les scènes contemporaines entretiennent une relation ambiguë avec le sujet. Tour d’horizon d’un thème qui n’en finit donc pas de faire l’actualité.

Le théâtre contemporain choisit la rupture

Sans trop en dévoiler, disons que La réunification des deux Corées de Joel Pommerat commence par la rupture d’un contrat de mariage. C’est vingt ans après que le manque d’amour est devenu insupportable. Ici, dans la scénographie longue comme un podium de défilé, le premier geste offert nous éloigne fortement des préoccupations que Joel Pommerat nous montre d’habitude. Ici, en apparence, la question sociale est loin. Pourtant, si on voit peu de robes blanches sur les scènes de la Ménagerie de Verre ou du Théâtre de la Bastille, on assiste à de sérieux… divorces !

Et oui, ça casse, ça rompt, ça s’aime moyen. La reprise du superbe Clôture de l’amour de Pascal Rambert mettait en confrontation Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, venus nous dire « On va s’arrêter là ». Sur le ring, ils vont se balancer une mise à mort du couple, le texte auréolé par le Grand Prix de littérature dramatique, nous raconte l’anodin devenant extraordinaire par la surexploitation de l’hystérie et de la rigidité. C’est horriblement dur et saisissant. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu un avant, avec des rendez-vous galants, avec des nuits d’amour, avec la naissance d’un enfant. Et là, dans ce décor blanc, ourlé d’un cadre comme une clôture de séparation, ils cassent à tous les sens du terme. Le mariage ici, c’était avant.

Prenons l’exemple des deux dernières éditions du festival d’Avignon, en 2012, nous avons parlé pouvoir et en 2011 enfance. Le couple, si il est présent sur scène est rarement le sujet. Les deux exemples cités auparavant sont plutôt des ovnis dans une programmation qui interroge plutôt l’humanité que les relations d’amour entre les humains…

Rien ne semble facile dans la réalisation d’un mariage heureux au théâtre et si nécessairement l’impossibilité de réunir des êtres qui s’aiment et leurs sentiments contrariés font les enjeux de la tragédie, la comédie classique (Le Mariage de Figaro de Beaumarchais par exemple), comme celle de boulevard ne sont pas en reste tant elles rivalisent d’invention pour contrecarrer l’heureux évènement.

Mariage retardé

Arrêtons-nous un peu sur le vaudeville et ses maîtres qui retrouvent depuis maintenant plusieurs années leurs lettres de noblesse dans le théâtre subventionné et sont joués aussi bien à la Colline qu’à l’Odéon et à la Comédie-Française où deux des derniers gros succès sont des modèles du genre. Dans Un Fil à la patte de Feydeau comme dans Le chapeau de paille d’Italie de Labiche, le mariage tant attendu prend du retard et donne lieu, avant de s’accomplir ou pas, à une série de tribulations invraisemblables et drolatiques qui font tordre de rire les spectateurs.

Chez Labiche, le jeune rentier Fadinard recherche désespérément un chapeau de paille d’Italie pour remplacer celui que son cheval a mangé le matin de ses noces à Anais Beauperthuis, une femme infidèle qui trompe son mari jaloux avec un militaire bouillonnant. Cet épisode malheureux est le point de départ d’une course folle que mène le malchanceux futur époux tentant d’éviter bon nombre de quiproquos auxquels s’ajoutent les altercations avec son beau-père, pépiniériste de profession, qui n’a déjà que peu foi en lui. Sans rien voir venir, toute la noce à ses talons finit par être embarquer par la police pour tapage nocturne.

Dans Un fil à la patte, Bois d’Enghien revient chez la très jalouse Lucette Gautier dans l’espoir de rompre définitivement après le déjeuner et pour cause… il se marie le jour même avec une autre femme nommée Viviane. Sans qu’il n’en sache rien, sa future belle-mère, la baronne Duverger, a engagé Lucette qui exerce le métier de chanteuse de café-concert pour animer la fête des noces… C’est donc entre sa future nouvelle femme et son ancienne maîtresse que Bois d’Enghien doit jurer fidélité ! Voici ce à quoi il doit s’employer selon les règles déjantées du vaudeville mêlanténormes mensonges et course poursuite sans fin.

Mariage redouté

Certains s’épuisent à vouloir se marier, d’autres s’escriment à ne pas le faire. Dans la comédie « Le Mariage » de Gogol, le personnage principal, Kapilotadov, éternel célibataire nonchalant, se tient à sa devise : « le diable me prenne, c’est une affaire qui vous fait du tracas, le mariage ! » Une vieille marieuse peu encline à la morale et complice d’un certain Plikaplov lui cherche pourtant un bon parti et lui présente la jeune Agafia déjà offerte cruellement à une galerie d’imbéciles cupides qui voient en elle une marchandise à acquéri. Kapilodatov préfère sauter lâchement par la fenêtre et se sauver en fiacre plutôt que de transiger.

Mariage déglingué

C’est une des pièces courtes de jeunesse absolument irrésistibe de Brecht, “La Noce chez les petits bourgeois” (Die Kleinbürgerhochzeit), écrite en 1919, s’amuse à faire craquer le vernis social avec humour et férocité, et faire voir ce que la vénérable institution du mariage cache d’abandon de la civilisation.

Un jeune couple fête son mariage. Ce qui est traditionnellement le plus beau jour d’une vie devient un cauchemar où tout est raté, de la crème du dessert à l’ambiance générale. La famille, hôtes et invités à la noce se sont apprêtés de leurs plus beaux habits et sont arrivés avec les visages radieux de circonstance, le sourire vissé aux lèvres. Pourtant, la fête tourne au vinaigre. Piques verbales, provocations et agression fusent dans un état d’ivresse avancé, les couples se défont et tout finit par se déglinguer, y compris les meubles qui se cassent les uns derrières les autres. La situation est critique. Dans ce délitement matériel et intellectuel,  on assiste à l’effondrement d’une convention sociale, celle du mariage comme une provocation anti petit-bourgeois.

Mariage inversé

Plus qu’une convention bourgeoise, le mariage au théâtre se fait l’écho des interrogations d’une société. Et si la question du mariage liée à celle du genre et de l’identité sexuelle aura été dernièrement l’occasion d’un débat aussi fou qu’ardu, on ne résiste pas à la géniale idée qu’a eue Warlikowski pour représenter le sacre de Poppée couronnée par l’amour et au fait du pouvoir conquis à la fin de l’opéra de Monteverdi de célébrer un mariage ambigu de la déesse masculinisée avec l’empereur Néron féminisé, Warlikowski joue sur l’inversement des sexes et propose une image aussi troublante que sublime du ténor Charles Castronovo arrivant torse nu en longue robe blanche de mariée, tandis que Poppée, en smoking noir et le crâne rasé mais tenant le bouquet expose sa force dominatrice, dangereuse et venimeuse.

 

Visuels : © Elizabeth Carecchio / © Christophe Raynaud de Lage  / © Javier del Real

 

Christophe Candoni et Amélie Blaustein Niddam

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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