Théâtre
La réunification des deux Corées : les feux de l’amour version Joël Pommerat

La réunification des deux Corées : les feux de l’amour version Joël Pommerat

18 January 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Joël Pommerat fait dans le chabadada. L’alliance des deux peut surprendre. On connait du metteur en scène, qui fut l’artiste associé des deux dernières saisons d’Olivier Py à l’Odéon, son langage poétique fondé sur la technique du son et de la lumière. Cette fois ci, il nous parle d’amour en lutte pour sa dernière création, sa première sous le mandat Luc Bondy : La réunification des deux Corées.

A l’Odéon, section Berthier, il nous aura assis en cercle, pour Cercles/Fictions et Ma chambre froide ou face à une cage ouverte pour Cendrillon. Cette fois, c’est en bi frontal, le long d’une scène de 22 mètres, étroite, que les spectateurs vont s’épier avant que ne débute le spectacle, créant une proximité fascinante avec le plateau. Comme à son habitude, il brouille les pistes par le titre même de la pièce. On se souvient de Au Monde où des hommes puissants se faisaient vieillissants, de Ma chambre froide, première comédie du metteur en scène, qui nous racontait la vie d’Estelle voulant entrer au couvent.

La réunification des deux Corées vient aussi se placer dans le champ de la comédie. On rit souvent face à des situations un peu cocasses. Il choisit, comme dans Je tremble ou dans Cercles/Fictions d’enchaîner les saynètes, mais cette fois, sans aller-retour: une scène vue est une scène finie.

L’inspiration nous amène dans les grands films d’amour. Lui dit avoir pioché dans Bergman, Scènes de la vie conjugale, où un homme quitte sa femme pour une autre bien plus jeune. Nous allons donc vivre deux heures d’histoires d’amour fragiles, souvent sordides. Mais le fond n’est pas ce qu’il y à retenir. Le texte amuse. L’effet Santa Barbara est léger et réjouissant, mais, cela est le point faible de ce spectacle qui excelle en revanche par son écriture scénique absolument parfaite.

Chaque spectacle vient apporter sa pierre à l’édifice d’un décor acteur. Ici, la lumière pensée par Éric Soyer, fidèle parmi les fidèles vient comme dans toutes les créations de Pommerat, à l’exception de La grande et fabuleuse histoire du commerce et de Cendrillon où il intégrait de la vidéo, alterner le silence, le noir, une lumière imposant au sol des figures, des flous et des ombres. chaque projection au sol transforme l’espace. Ainsi nous savons à la seconde de démarrage de la scène où nous nous trouvons : un appartement bourgeois à la moquette cosy, un hôpital psychiatrique aux carrelages froids, une rue aux pavés larges… L’effet est ultra cinématographique, ne supportant aucune attente, aucun raté, la précision et la rigueur sont de mise. La lumière est ici le point de départ du récit.

C’est dans ces halos que les comédiens, tous époustouflants, évoluent sur ce plateau podium, dans les costumes magnifiques d’intelligence d’Isabelle Deffin. Là encore il faut aller vite. Qui dit saynète dit zapping. Il s’agit en un fragment d’instant de comprendre, par un jean trop grand, par une veste très chic, dans quel milieu social nous nous trouvons. Dans cette même volonté, la musique apparaît en sourdine, Dalida en guest, tout comme dans le bal de Cendrillon. La fête est de l’autre côté du mur, si le rire est là, il est empli de cynisme.

Car non, Joël Pommerat n’a pas changé ses obsessions. Le propos reste engagé. Il vient dire que toutes classes confondues, l’amour fait tourner le monde. Il fera hurler à un médecin : « l’amour, ça met les individus en danger, quand on se réveille de l’amour on se rend compte qu’on a déliré !” Avec La réunification des deux Corées, il continue sa progression, entamée avec Ma chambre froide vers un univers glauque mais non dénué d’humour, à la frontière du réel et de l’illusion, mais, on regrette ici, une prise en main de l’imaginaire moins soutenue. C’est quand il s’attaque aux plus basses choses, ici, une scène de prostitution, qu’il nous tient en suspension. La réunification des deux Corées est un cours archétypal du travail de scénographie de Joël Pommerat, mais il n’a pas la force époustouflante de ses satires sociales qui nous amenaient réellement ailleurs.

 

Visuels : © Elizabeth Carecchio

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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