Arts
Rétrospective Soutine au musée de l’Orangerie : un parcours trop sage pour une œuvre habitée

Rétrospective Soutine au musée de l’Orangerie : un parcours trop sage pour une œuvre habitée

02 October 2012 | PAR Géraldine Bretault

Quarante ans après une première rétrospective consacrée en ces lieux à l’œuvre de Soutine (1893-1943), le musée de l’Orangerie rempile, au motif qu’il possède la plus importante collection en Europe de ce peintre. Cela suffit-il à renouveler le regard sur une œuvre encore controversée ? Pas si sûr.

Longtemps, le destin tourmenté de Chaïm Soutine a servi d’exégèse face à une œuvre dérangeante, iconoclaste, inclassable. Confrontés à tant de difformités et d’incongruité, critiques et spectateurs se retranchaient derrière l’enfance misérable, l’exil, la maladie, la mort précoce qui ont frappé l’artiste à de nombreuses reprises, comme pour y trouver un viatique face à tant de laideur.

Si la force d’expression et la charge émotive des toiles n’ont rien perdu de leur intensité, le recul devrait pourtant permettre aujourd’hui d’inscrire la quête picturale de Soutine dans une histoire de l’art moderne, pour tenter de dégager les résonances de cette trajectoire singulière avec celles d’autres figures qui lui ont emboîté le pas dans des voies parallèles. L’on songe ici à Francis Bacon ou Lucian Freud, par exemple.

Or le parcours proposé se contente de passer en revue les genres explorés par l’artiste dans une succession de salles à la mise en scène monotone, depuis les paysages aux portraits en passant par les natures mortes et les bœufs écorchés sagement alignés.

Certes, l’accumulation a au moins le mérite d’attirer l’attention sur le recours à la sérialité comme méthode d’investigation approfondie autour d’un même thème. Pourtant, il semble qu’il y aurait tant à dire en dérangeant quelque peu l’ordre établi (à commencer par le titre de l’exposition, « Chaïm Soutine, l’ordre du chaos »…). Ainsi, un des paysages de Céret de la première salle est si difforme qu’il en frôle l’abstraction, semblant annoncer les étripements à venir… Une toile où brille déjà le rouge intense que l’on retrouve tout au long du parcours, tel un fil conducteur, des glaïeuls à l’escalier rouge, de la tunique de l’enfant de chœur aux carcasses.

Revenons-y, justement, aux fameux bœufs écorchés. Si l’hommage à Rembrandt est dûment évoqué sur le cartel adjacent, on aurait aimé mieux comprendre quelle rage pouvait bien animer l’artiste quand il se faisait livrer des carcasses pantelantes dans son atelier de la rue du Mont-Saint-Gothard pour tenter d’en percer le mystère, s’acharnant à chasser tous les éléments anecdotiques de la toile. À travers cet acte de transmutation de la chair par des empâtements si appuyés que la couche picturale a rarement résisté – les craquèlements abondent -, Soutine crucifie ses pairs, en creusant un sillon qui annonce bien d’autres gestes forts de la seconde moitié du XXe siècle, des actionnistes viennois aux nettoyages d’ossements par Marina Abramovic.

Restent des toiles inoubliables, qui continueront de vous hanter longtemps.

Crédits photographiques :

Portrait d’homme (Emile Lejeune), vers 1922-1923 © RMN (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski (en une)
L’Enfant de choeur, 1927-1928 © RMN (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski
Le Village, 1923 © RMN (Musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

2 thoughts on “Rétrospective Soutine au musée de l’Orangerie : un parcours trop sage pour une œuvre habitée”

Commentaire(s)

  • falue

    Bonsoir,

    il est dommage que chaque expo sur SOUTINE, il n’y ai pas de photos, de livres, de lettres…etc…

    à quand une véritable expo sur Haïm SUTIN allias Chaim SOUTINE.

    March 10, 2016 at 22 h 45 min

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