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Aux sources de la peinture aborigène : le Musée de Quai Branly expose la part politique de l’art contemporain australien

Aux sources de la peinture aborigène : le Musée de Quai Branly expose la part politique de l’art contemporain australien

09 October 2012 | PAR Yaël Hirsch

En quelques 200 peintures des années 1970 et 1980, ainsi que 70 boucliers datant du 19ème siècle, le Musée du Quai Branly donne à voir une exposition montée par les équipes de la National Gallery de Victoria. Un riche aperçu des débuts de la peinture aborigène, qui enchantera les spécialistes, mais que le manque radical d’explication et de mise en perspective anthropologique rendra très frustrante pour tous ceux et celles qui se seraient déplacés pour comprendre.

Ces grands panneaux qui nous semblent abstraits avec leur aplat de formes géométriques dans des couleurs de terre et qu’on appelle aujourd’hui “Art aborigène” est en fait un phénomène assez récent qui date des années 1971 et 1972 et qui a pris au corps au centre de l’Australie, près de la ville d’Alice Springs. est une prise de conscience politique que les traditions locales du tjukurrtjanu, le temps du rêve, risquent de se perdre et la construction d’une école-coopérative de peinture, la Papunya Tula qui sont au cœur de ce renouveau présenté par l’exposition comme éminemment politique. “Si je ne peins pas cette histoire n’importe quel blanc pourra me voler  mon pays” explique l’artiste clé du mouvement, Charlie Wartuma Tjungurrayi, dans une phrase aussi claire que définitive (1987). Sauf que cette fameuse prise de  conscience semble commencer en 1971 alors que les aborigènes ont lutté pour leurs droits de 12963 à la fin des années 1960 (nous dit-on) et que la création de l’école semble être fonction de l’arrivée d’un professeur certes australien mais “blanc” et de Sidney, Geoffrey Bardon…

L’exposition commence par l'”avant” simplement évoqué par des boucliers du 19ème siècle faisant figure de tradition en soi (et notamment un premier mur magnifique mais jamais expliqué, voir ci-contre), avant de tenter de nous aider à placer les quatre groupes linguistiques des aborigènes sur une carte (sans vraiment nous aider à les différencier). Puis elle explique brièvement que le tjukurrtjanu correspond à la croyance locale (partagée par tous? ) qu’à côté de la vie existe un temps du rêve, où des légendes tribales viennent surprendre les aborigènes (et semble-t-il exclusivement les hommes, mais l’information n’est pas assez claire pour que nous puissions le soutenir).

S’ensuivent alors environ 3 à 4 pièces de tableaux des années 1971 et 1972 accrochés et si l’on se penche bien, l’on note qu’ils sont plutôt de petit format et sur bois (panneau d’aggloméré). Leurs titres indiquent le nom de l’artiste et sa communauté linguistique et  parfois qu’ils représentent une cérémonie ou un rêve sans jamais expliquer ces derniers. A un moment, l’on entre dans une pièce un peu plus confinée qui porte le titre de “salle des secrets” et est parait-il interdite aux femmes et enfants aborigènes, sauf que les tableaux représentent encore rêves et cérémonies (avec parfois quelques personnages symbolisés ce qui est plus rare dans les autres pièces).  Qu’y a-t-il d’ésotérique dans cette pièce? le Mystère reste entier… Enfin l’exposition se termine par des “grands formats” des années 1980, certes somptueux, mais encore une fois personne ne nous explique ni le passage sur toile (qu’on devine), ni le pourquoi de ce saut vers des dimensions démultipliées.

Si les peintures exposées sont très certainement parmi les plus “authentiques” et les plus belles de l’art aborigène, si la scénographie sobre de Didier Blin est parfaite et si l’exposition n’oublie pas de souligner le caractère politique des origines de l’art aborigènes, le manque d’éclairages pertinents pour un public français qui, dans une très large mesure, ne connaît rien à cette civilisation créée une double frustration : celle de ne pas pouvoir apprécier, mais également celle d’avoir l’impression de regarder les vestiges d’une civilisation morte alors que la plupart des artistes sont bien vivants.

commissariat : Judith Ryan, Senior Curator, Art aborigène, National Gallery of Victoria, Melbourne / Philipp Batty, Senior Curator, Australie centrale, Museum Victoria, Melbourne
coordination scientifique : Philippe Peltier, conservateur en chef, responsable des collections Océanie-Insulinde du musée du quai Branly

 

visuels :

Grand angle : scénographie de l’exposition (c) Musée du Quai Branly

1/ mur de boucliers – 2/ LOng Jack Philippus Tjakamarra- La chasse, 1971- Acrylique sur panneau d’aggloméré (c) yaël Hirsch

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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