Cinema
“Pays Rêvé” de Jihane Chouaib : à la recherche d'”une sensation qui s’appellerait Liban”

“Pays Rêvé” de Jihane Chouaib : à la recherche d'”une sensation qui s’appellerait Liban”

20 September 2012 | PAR Charlotte Bonnasse

“Quelque part au fond de moi, il y a un lieu que je rêve et que j’appelle : Liban, mon pays”: c’est ce qui pousse Jihane Chouaïb à partir à la recherche d’un “Pays Rêvé” qui ne lui appartient plus. Pays Rêvé, ce n’est pas la poursuite du Liban d’autrefois, encore moins un documentaire sur la guerre, c’est plutôt une invitation à parcourir un voyage intérieur, qui soulève avec intensité la question de l’identité et du rapport à soi. Entre douceur et déchirement.

Un pays, une génération, cinq voix. Toutes différentes, elles reviennent sur les lieux qui les ont marquées, et nous parlent : de l’exil et de la guerre, d’un rapport déchiré à l’identité, de leur quête de ce lieu invisible qu’elles portent en elles comme une blessure. Quatre voix très singulières, très intimes aussi, qui s’entrelacent et se font écho, pour faire du film une expérience artistique d’une rare sensibilité.

Le film s’ouvre avec cette phrase abrupte: “Je viens d’arriver dans le pays où je suis née, et je suis une étrangère”. Une caméra de fortune filme l’expérience de l’extérieur, l’aéroport, une ville, immobile malgré toute la vie qui l’agite, les papiers d’identité, ces réalités fragmentées à l’image de son identité. Derrière, la voix off de Jihane s’exprime. Doucement, elle constate, elle doute, elle questionne: “A quoi retourne-t-on quand tout a disparu?, Comment dire nous encore? Que reste-t-il pour nous réunir? Est-ce que je pourrai retrouver la part perdue?”.  Ce lent poème d’amour (écrit par Wadji Mouawad) nous accompagne tout au long du film, nous parlant de son déchirement et de sa difficulté à dire je : “je veux mourir, je ne veux plus être moi, je ne veux plus dire le mot moi, je veux tout oublier, tout”.

L’un après l’autre, Wadji Mouawad, Katia Jarjoura, Nada Chouaib et Patric Chiha se livrent à la caméra, authentiques, dépouillés de tout artifice. Le dramaturge Wadji Mouawad met des mots sur les sentiments, il décortique, raisonne, déplie lentement la complexité de son être dans une chambre d’hôtel de l’aéroport de Roissy. Il convoque par sa voix la difficulté à grandir, à être soi et à se situer par rapport à ses racines : “Ce que j’entendais sur les juifs, sur les palestiniens, les sunnites, les chiites, étaient d’une violence dont j’étais convaincu pendant toute mon enfance. Il faut prendre le temps pour défaire ces choses-là, combattre en moi ce que ma confession a déposé. Je l’accepte comme un espace identitaire. Mais jamais je n’en ferai mon identité.” Nada Chouaib, soeur de la réalisatrice, nous plonge dans une expérience intimement sensible. Elle est davantage sensuelle et intérieure, en évoquant ses souvenirs et ses rêves de Liban: “être à la montagne, manger des cacahuètes, boire du café, jouer aux cartes en regardant la mer…” C’est par le corps qu’elle renoue avec ses racines: après avoir quitté le pays, elle a du changer de prénom et a perdu la capacité à s’exprimer pendant quelque temps. Par la danse orientale, elle retrouve le chemin de son être et de ses racines. Katia, journaliste, est une femme libre, qui veut découvrir son propre Liban, et non celui qu’a vécu son père. Elle a besoin de vivre la guerre pour se sentir libanaise; fréquentant le Hezbollah,  elle se confronte à des limites: on ne la reconnaîtra jamais vraiment comme une femme libanaise. Enfin, Patric Chiha, lui, ne se situe pas du tout dans une poursuite mélancolique du passé : il raconte simplement comment ce présent libanais se révèle différent du Liban lointain et légendaire qu’il imaginait. Ces quatre personnes présentent comme “différents mouvements du rapport à soi, à son héritage, à sa propre identité. Une histoire tout à fait intime et qui nous parle.

Quand Jihane Chouaib part à la recherche d’une “sensation qui s’appellerait Liban”, elle renouvelle et libère des chemins pour penser l’identité, la notre et celle des autres. Et elle le fait avec toute la liberté nécessaire. Ce n’est pas autre chose qu’une expérience intérieure, une “sensation à toucher”. Le film sortira en salle le 31 octobre.

Visuel (c): site du film Pays rêvé.

 

El tiempo de la Revolución”, merveille signée Erik Truffaz Quartet, sortie le 29/10
L’Orient méditerranéen dans l’Empire romain : ouverture des nouvelles salles au Louvre
Charlotte Bonnasse

2 thoughts on ““Pays Rêvé” de Jihane Chouaib : à la recherche d'”une sensation qui s’appellerait Liban””

Commentaire(s)

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration