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What we saw from the cheap seats : Regina Spektor vise la perfection au bord de la fragilité

What we saw from the cheap seats : Regina Spektor vise la perfection au bord de la fragilité

02 July 2012 | PAR Yaël Hirsch

Alors que Regina Spektor est attendue jeudi prochain, le 5 juillet, sur la scène du Trianon dans le cadre de sa grande tournée internationale qui a commencé il y a deux mois, son album “What we saw from the cheap seats” (ce que nous avons vu depuis les fauteuils pas chers) est sorti chez Sire Records. Enregistré avec Mike Elizondo (Fiona Apple, Alanis Morissette) l’été dernier à Los Angeles, l’album mêle vieilles chansons inédites et nouvelles compositions. Parfaitement arrangé, il donne parfois l’impression reconnaître du Regina Sektor pur jus; mais ce sentiment de familiarité régulièrement interrompu  par des moments de renouvellements surprenants. Un CD d’une inquiétante mais inégalable beauté à écouter avec beaucoup d’attention.

Avec le premier extrait, “All the Rowboats”, à l’écoute depuis le 29 mars dernier, Regina Spektor exprimait sur fond lancinant de synthétiseurs (proches de “Machine” dans son dernier album, “Far”) une grande fragilité : la peur inquiétante que tous les arts se conjuguent au passé, que les violons toussent d’oubli dans des cercueils en verre, que la créativité se fige, à l’image des vieilles figures patinées sur les toiles des maîtres. Et aussi sophistiquée, raffinée et complexe que  soit la structure de ce nouvel album, chaque piste ramène encore et encore à cette question de la page grise.

A temps, l’on retrouve la Regina légère et confiante de “Soviet Kitch” et de “Begin to hope” : dans la tendresse de “Open” où la voix-sucre de la belle chante l’amour avec la même ironie que dans “Samson” ou dans le beat-box ludique de “Ne me quitte pas mon cher” sorti des étages de sa discothèque pour dresser un portrait impertinent d’un New-York beaucoup moins dramatique que le Paris ou le Bruxelles de Jacques Brel. L’humour est donc toujours la signature des excellents textes de Regina Spektor sur l’amour. Même quand elle pastiche Whitney Houston et se lance dans le piano grandiloquent du chagrin d’amour avec le superbe “How” (voir ci- dessous), l’on sent une mise à distance. Celle qui a connu la renommée internationale en jurant qu’elle n’avait “jamais aimé quelqu’un totalement” pour garder “toujours un pied par terre” (“Fidelity“) continue à faire de la pop pour que la musique demeure un garde fou. Bonne amie, dans “Patron Saint”, elle conseille donc de lâcher la main de la grande amoureuse et des dangers qu’elle évoque.

Mais Regina Spektor, tous le répètent, fait beaucoup plus que de la pop : elle vient du classique (les gammes subtiles de “Open” ouvrent vers un voyage d’hiver tout à fait romantique); elle écrit aussi des airs ricanants, à la limite du larsen -voix et beat expérimentaux- et les masque sous forme de ballade pour se moquer des hommes politiques et de leurs ambitions (“Ballad of a Politician”); elle joue la comédie, en Français (“Don’t leave me”) ou toujours sur piano schubertien, elle parle avec un accent italien (“Oh Marcello”) et cache au passage une référence fine à Ella Fitzgerald et à The Animals.

Et si Regina Spektor omet cette-fois-ci de pointer en sous-texte vers ses origines russes, comme elle avait su le faire avec une citation de Pasternak dans le sublime “Après moi” (album “Begin to hope”), il n’en demeure pas moins qu’elle ouvre l’album avec l’angoisse complémentaire de la fin de la créativité. Là où elle disait “Je ne suis pas moi-même ce n’est pas mon choix” il y a deux disques, Regina persiste et signe avec “Small Town Moon” où reprend le thème de l’individualité difficile: “Comment puis-je partir sans heurter touts ceux qui m’ont faite?”. Entre la peur de heurter les siens en se distinguant et celle de ne plus pouvoir alimenter les hauts-fourneaux de cette individualité créative, Regina Spektor se déplace insensiblement vers une musique de plus en plus spirituelle. Elle s’en approchait déjà dans le dernier album avec le premier single “Laughing with” (“Personne ne rit de Dieu quand…”). Maintenant, les textes de plus en plus surréalistes et complexes de “What we saw from the cheap seats” sont remplis de madones, de saints patrons, de foyers de lumière et d’appels à l’ouvert…

Dans son nouvel album, Regina Spektor continue donc à creuser son sillon d’auteure-compositrice et formidable interprète. Et elle creuse résolument là où cela fait mal : du côté de ses peurs. Le CD est si bien arrangé et si homogène qu’on pourrait passer à côté de cette somme d’émotions et de références à peines voilées pour l’écouter en musique de fond avec une oreille distraite. Ce serait fort dommage mais certainement pas dramatique …

Agenda culturel de la semaine du 2 au 8 juillet
[Live-Report] : Présentation Berluti, Printemps-Eté 2013, Prêt-à-porter Homme, Paris (29/06/2012)
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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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