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Les inséparables, anatomie d’une fraternité par Alessandro Piperno

20 July 2012 | PAR Yaël Hirsch

Après “Persecution” (Liana Lévi, 2010), “Les inséparables” est le deuxième volet d’un diptyque sur le passé familial signé par Alessandro Piperno.  Histoire de deux frères juifs romains ayant dû faire face à  un gros traumatisme dans leur enfance,  ce roman éblouissant de nuances, de subtilité et dénonce à un rythme entraînant bon nombre d’hypocrisies sociales. Prix Strega 2012 en Italie (équivalent de notre Goncourt), “Les inséparables” est un petit bijou qui ne doit pas être enseveli par la déferlante de la Rentrée Littéraire. Sortie le 22 août 2012 chez Liana Lévi.

Filipo et Samuel Pontecorvo sont deux frères qui ont été très proches dans leur enfance. Le premier et l’aîné a toujours été un peu cancre et a doucement abandonné la carrière de médecin après ses études pour épouser Anna,  une comédienne  venue de la  téléréalité, hystérique, anorexique et instable, fille d’un richissime homme d’affaires. Le deuxième a toujours été le bon élève et après des études brillantes et un passage par la case New-York, il gagne bien sa vie dans une entreprise familiale de coton pour laquelle il voyage beaucoup. Fiancé à la douce Silvia depuis 15 ans, il se décide enfin à l’épouser, en partie pour faire plaisir à leur maman, la forte et protectrice Rachel. Mais la donne change quand Filipo sort de son rôle de mauvais élève et fait valoir ses dessins à travers un films d’animation qui revient sur ses aventures comme paramilitaire en Malaysie.  Sélectionné dans la section “Un certain regard” à Cannes, puis encensé par la critique, le film rend Filipo extrêmement célèbre du jour au lendemain, et vénéré par une horde de fans. Pour des raisons différentes, ni sa femme, ni son frère ne vivent bien cet engouement soudain qui réveille certains fantômes du passé.

Peignant un univers de femmes fortes et d’hommes faibles, et ce depuis au moins deux générations, Alessandro Piperno dresse, à travers la famille Piperno, une sorte d’autopsie de la bonne société romaine. A la fois Recherche du temps perdu où plus personne n’interroge les codes et Jardin des Finzi-Contini d’après une assimilation qui a eu lieu malgré et après l’extermination, le roman d’Alessandro Piperno a la force de ne pas éradiquer l’amour de sa grande variation sur la faiblesse humaine. Dans une structure qui emprunte à la tragédie (Cinq actes) et au roman policier (l’on découvre qui est le narrateur à la fin du roman), l’auteur déshabille chacun de ses superbes personnages et dénonce en filigrane de   leurs voix les faux-semblants et les hypocrisies de la société qui les entoure et qu’ils acceptent néanmoins, par rivalité, par nécessité et/ou par envie. Réflexion de moraliste étrangement trempée dans l’encre de la Bible, “Les inséparables” prend au sérieux ce pêché capital de l'”envie”, rouage clé de nos sociétés occidentales postmodernes, qui n’a rien à voir avec le désir de reconnaissance, et que seul un roman pouvait ainsi dévoiler. Roman fort, riche et profond, “Les inséparables” est sans conteste notre coup de cœur de cette rentrée 2012.

“Les inséparables” d’Alessandro Piperno, trad. Fanchita Gonzales Battle, Liana Lévi, 400 p., 22, 50 euros. Sortie le 22 août 2012.

Quelqu’un avait rit. Un autre, en revanche avait compris à temps combien c’était inconvenant de rire d’une plaisanterie de ce genre, surtout dans cette maison. Une plaisanterie horrible, qui mêlait savamment antisémitisme ordinaire et insensibilité spécifique vis-à-vis de la tragédie qui avait frappé les Potecorvo. Bref, une authentique saloperie.
Pendant un instant on n’entendit plus que le crépitement du feu et, en fond sonore, les insupportables airs de Noël. Tous les regards se tournèrent vers David. On était convaincu qu’au triple titre de maître de maison, chef incontestable de la bande et Juif à la générosité proverbiale, c’était à lui de sanctionner sévèrement l’attitude de ce salaud. Mais David n’ouvrait pas la bouche. Il était abasourdi. Embarrassé. Comme si, pour une fois, sa plus grande qualité, à savoir la bonté d’âme, lui conseillait mal en lui ordonnant de choisir l’option la plus lâche : un silence irresponsable, digne d’un démocrate-chrétien.
” p. 210.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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