Théâtre
Die Kontrakte des Kaufmann, eine Wirtschaftskomödie : Jelinek et Stemann font péter la crise

Die Kontrakte des Kaufmann, eine Wirtschaftskomödie : Jelinek et Stemann font péter la crise

22 July 2012 | PAR Christophe Candoni

Au festival d’Avignon, la découverte de Nicolas Stemann, metteur en scène associé au Thalia Theater de Hambourg et au Schauspiel Köln, fait l’effet d’une bombe. Dans « Die Kontrakte des Kaufmann, eine Wirtschaftskomödie » d’après un texte d’Elfriede Jelinek, présenté dans la Cour du Lycée Saint-Joseph, on aime l’audace, l’insolence acérée et l’irrespect jouissif des conventions théâtrales dont font preuve les deux artistes tant au niveau du texte que de son traitement scénique. Après la géniale version d’Ennemi du peuple d’Ostermeier, force est de constater une fois encore la capacité du théâtre germanophone à faire du plateau de théâtre une tribune politique radicalement engagée.

Le texte d’Elfriede Jelinek pourrait passer pour le commentaire d’une actualité brûlante, celle de la crise économique qui touche l’Europe actuellement, alors qu’en réalité, écrit en 2008, il n’a pu en être que la terrible prophétie. Les grands artistes sont des voyants, des visionnaires et nous éclairent sur le monde. L’auteure poursuit toujours la rédaction de sa pièce au gré de ce que lui suscite l’actualité. A l’heure actuelle, la troupe détient 260 pages et en a livré le soir de la première avignonnaise une centaine. Le principe est innovant car constamment en mouvement et chaque soir, les comédiens livrent brochures en main un texte nouveau et changeant. Les spectateurs sont prévenus : le spectacle dure quatre heures environ et sans entracte, un moniteur fait le décompte des pages sur scène. On peut quitter momentanément la salle pour faire une pause et consommer une boisson au bar sans décrocher de la représentation retransmise sur un écran de télévision. Tout est prévu.

Au cours de ce long texte qui s’amuse à vider ironiquement de sa substance le jargon financier, on parle de la dégradation des cours de la banque, d’implantation et d’investissement, de placement, de crédit, de marché, de la pente glissante sur laquelle descend le capitalisme, et de l’homme, fragilisé, naufragé sous la tempête mais pas totalement abattu. Le vent soufflait si fort hier soir que le décor ne put être installé. Tout ce qu’il y avait sur scène menaçait de s’envoler. La parole irréductible des acteurs s’est tout de même fait entendre sous le mistral, ce qui donnait encore plus de sens et de force à un spectacle soulevant le chaos du monde.

Au début, un couple âgé qui voit sa retraite s’amoindrir déplore la perte des valeurs humaines dans une société qui décroît et l’exclusion sociale qu’il est en train de subir alors même qu’il se fait déposséder de ses derniers meubles, y compris le canapé où les deux sont assis. Le ton est pessimiste, une pianiste égrène quelques notes de Satie. Mais la dépression laisse vite place à l’indignation, bruyante et rageuse et à l’humour, la dérision, potache mais incisif. Dans ce tour de force, une urgence, une nervosité contaminent l’ensemble du plateau.

Pas de personnage, ni de dialogue. Le texte est pris en charge par un, deux, trois acteurs ou plus, restitué comme un chant, un cri de révolte, de souffrance. Il est souvent hurlé ou chanté. Le ton est aussi moqueur, absurde. C’est très drôle. Des femmes se font filmer en train de mâcher des billets de banque, les acteurs se déguisent, se peinturlurent, font des détournements de paroles de chansons, comme une caricature de revue de music-hall, ils apostrophent le public, font chanter la salle sur l’air d’un cantique religieux. Le génial happening qu’ils proposent part dans tous les sens et ménage de nombreuses autres surprises mais derrière le semblant de bazar délirant se trouve une maîtrise inouïe du plateau.

Ces artistes sont à la fois très forts et très fous. Ils créent en direct un spectacle total, avec des sons, des images vidéos, de la musique, c’est un mélange de performances et de concert. C’est provocant, percutant, corrosif, lucide et d’une liberté folle. Ils dynamitent le théâtre en faisant exploser ses étroits carcans, ça déménage !

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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