Cirque
“We Agree To Disagree” le spectacle de cirque qui met tout le monde d’accord

“We Agree To Disagree” le spectacle de cirque qui met tout le monde d’accord

03 August 2022 | PAR Mathieu Dochtermann

S’il y avait un lieu fort en intensité du matin jusqu’au soir à l’édition 2022 du festival Chalon Dans La Rue, c’était bien la Cour des Belges, qui accueillait terrain Vannier une très belle brochette de compagnies… belges, avec le sens de la fête et des spectacles de qualité. Au titre de ces derniers, on a pu découvrir We Agree To Disagree, création de 2020 du Collectif Malunés, une création collective pour la rue, un spectacle de cirque de proximité festif, physique, participatif, explosif, qui n’a pas franchement laissé le public indifférent.

We Agree To Disagree, c’est un titre bien trompeur. Bien au contraire, à dessein ou pas, c’est la proposition qui met tout le monde d’accord. Au travers d’un spectacle de cirque en plein air un peu subversif, surtout méchamment jouissif, où la virtuosité est bien présente mais ne met jamais à distance le public – bien au contraire – le collectif franco-belge Malunés essaie de faire communauté, ne serait-ce que de manière éphémère, autour d’artistes déconfinés qui sont invités à “descendre de leur trône de papier toilette pour enfourcher le tigre”… Autant dire que pas mal d’humour et de second degré sont au rendez-vous.

Dès l’installation du public, les artistes de la distribution se mêlent partout aux spectateurs et spectatrices, recrutent des complices à tour de bras, entraînent des groupes à part pour une formation éclair, glissent un discours déjà écrit dans une poche… Dès le départ, donc, les choses sont claires : il s’agit de pulvériser le quatrième mur, d’inviter le public sous voire sur le trapèze, de le faire monter en haut des colonnes à trois, de requérir son assistance pour compléter l’orchestre… bref, de le faire participer, mais sous une forme tellement active et tellement permanente qu’on peut presque parler de co-construction.

Bien entendu, la prise de risque est limitée, et on ne lance pas les enfants dans des triples saltos arrière… même s’ils peuvent se retrouver hissés à bonne distance du sol. Pour autant, c’est une proposition qui a dû donner quelques sueurs froides aux programmateurs et autres DT quand ils ont réalisé à quel point la distance entre artistes et les membres du public serait de zéro, et quelle quantité de pirouettes impliqueraient ces derniers où du moins les frôleraient de très, très près. On sent l’appétit rageur de se retrouver à pleines embrassades après la distanciation physique imposée par les mesures sanitaires, on perçoit l’envie de toucher tous les sens et à tous les sens, et de convoquer une grande fête du lâcher-prise. Mission accomplie.

Tout cela est fait avec une invite irrésistiblement sympathique, une énergie vibrionnante, une bonne humeur salement contagieuse. La musique jouée live ne participe pas peu à cet élan. Le public réagit au quart de tour, se prête à tous les exercices avec délice même quand il s’agit de se retrouver singularisé.e, en piste, devant mille personnes. Il y a une envie de faire, un entrain, qui emporte largement toutes les peurs et les appréhensions – en tous cas, c’est vrai pour suffisamment de spectateurs et spectatrices pour que des volontaires se trouvent toujours, pour que des foules se pressent spontanément pour aider à monter une colonne, pour que des grappes de corps se retrouvent agglutinées contre ou sous les agrès. C’est nécessairement un peu bordélique, parce que l’accident a tout de même sa part, mais l’anarchie est canalisée avec efficacité et le spectacle ne déraille jamais. Pour autant, toute représentation de We Agree To Disagree est inévitablement unique, fruit des personnes et des conditions qui se sont trouvées là, le jour de la représentation – et c’est génial.

Quand le public a fini d’aider à monter les agrès, quand l’orchestre est au complet et que les complices ont joué leur partie, quand une bonne âme a accepté de faire office de coulisse pour un temps, il reste tout de même des numéros de cirque, et pas à un niveau débutant… plutôt l’inverse ! Il y a du trapèze ballant à huit mètres, il y a du cadre coréen sacrément musclé, il y a de la bascule spectaculaire (et participative) à souhait, des portés acrobatiques et du main à main de qualité… L’envie de faire avec le public et d’écrire de façon à convoquer le groupe, la collectivité, le micro-Etat anarchiste qui se donne ses propres règles et est ouvert à toutes les négociations n’empêche pas – mais alors pas du tout – de ménager une place à la virtuosité. On y perd ponctuellement en capacité d’improvisation, mais pas nécessairement en folie, puisque le public chauffé à blanc se sent manifestement partie prenante de la moindre prise de risque, et hurle et applaudit à tout rompre comme on ne le voit pas souvent. Clairement, une distance a été abolie, une digue a lâché.

C’est peut-être sur la promesse de creuser la question de la gouvernance collective par le biais du spectacle que We Agree To Disagree pourrait paraître un peu en-deçà de ses promesses. L’ambition d’explorer les “différentes manières dont les humains réussissent ou échouent à vivre et travailler ensemble” tourne assez vite court, si on en croit les deux représentations qu’on a vues : le public est acquis et conquis, l’opposition inexistante, le débat est mis échec et mat avant même l’ouverture de la partie. Certes, on expérimente pendant la représentation des phases de guidage plus ou moins douces, selon que la façon de solliciter le public est plus ou moins frontale et autoritaire… Mais on est alors davantage dans une expérience de psychologie sociale (impossibilité de refuser devant la pression de la foule à se conformer aux instructions données) que de philosophie politique. Pour être honnête, qui n’a pas lu la note d’intention n’aura aucune conscience de ce questionnement sous-jacent… et il ne lui manquera sans doute pas….

Il faut rendre justice à We Agree To Disagree à l’endroit où il réussit, et à cet endroit-là il réussit plus que complètement : pulvériser la distance artistes-public, créer une dynamique de groupe folle, distiller une joie débordante de se retrouver et de faire ensemble, donner à voir de très beaux numéros de cirque également. Donner autant de plaisir, n’est-ce pas bien suffisant ?

La tournée d’août du collectif Malunés l’amène à faire plutôt le tour de la Belgique, mais sa route repassera bien par la France… et il faudra y aller, si on aime le cirque, si on aime la fête, ou tout simplement si on aime les joyeux bordels !

GENERIQUE

Distribution : Auteurs – Interprètes : Simon Bruyninckx, Juliette Correa, Lola Devault-Sierra, Luke Horley, Gabriel Lares, Arne Sabbe, Nickolas Van Corven, Mohamed Keita / Oeil extérieur : Bram Dobbelaere / Constructeur : Joppe Wouters / Directeur technique : Anthony Caruana, Alexis Chauvelier / Eclairagiste : Olivier Duris / Logistique: Damien Lenet / Administration / production : Euge?nie Fraigneau / Diffusion : Emma Ketels
Visuel © Jakob Rosseel

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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