Musique
Triomphe de La Création pour les 20 ans d’Accentus

Triomphe de La Création pour les 20 ans d’Accentus

03 April 2012 | PAR Bérénice Clerc

Pour fêter les 20 ans d’Accentus, Laurence Equilbey offre avec ses chanteurs, l’Akademie für Alte Musik Berlin, Sandrine Piau, Johannes Weisser et Topi Lehtipuu une somptueuse version de La Création de Joseph Haydn sous le regard et les oreilles émerveillés des spectateurs  éblouis de la salle Pleyel.

 

20 ans, le bel âge, celui de tous les possibles, de la liberté après une longue période pour asseoir son autonomie, légitimer ses prises de risques, réussites et succès toujours plus nombreux. Un travail acharné pour une exigence hors norme afin d’offrir la perfection d’un orchestre vocal et représenter dans le monde entier la musique française.

Il y a quelques années Accentus, Laurence Equilbey et l’Akademie für Alte Musik Berlin enregistraient la version oratorio des Sept dernières paroles du Christ, un bijou inégalé, puissant expressif, exaltant, poétique, profond et lumineux.

L’attente était donc très grande pour cette version de La Création avec la même équipe.

La salle est pleine, pas un fauteuil libre, hommes politiques de gauche ou de droite, conseillers, ministres partagent ce désir de beauté musical. Laurent Bayle fait un bref discours hommage au parcours d’Accentus et de Laurence Equilbey, un sourire, quelques bises et la musique peut entrer en scène.

Laurence Equilbey sur son promontoire offre un regard à l’orchestre, au chanteur et d’un geste assuré et délicat libère la musique. Dès les premières secondes les instruments résonnent, vibrent, teintent les notes de couleurs scintillantes.

La représentation du chaos est chassée par un récitatif précis, “la lumière fut”, l’orchestre se pare de mille éclats, explose, les notes de chaque instrument résonnent en un son scintillant, poétique et plastique.

La création du monde a commencé, la musique en suspension ne redescendra jamais, chaque passage est illustré à merveille par l’orchestre comme soulevé par l’énergie spirituelle de la partition et des choix de la chef d’orchestre. Le chœur dégage une puissance et une précision technique impressionnante par la richesse des timbres, les variations chromatiques et la pureté poétique.

Les solistes sont d’une subtilité et d’une justesse incroyables, Sandrine Piau fait frissonner toute la salle, de ses aigus maitrisés, tout en retenue,  elle porte la grâce et place très haut le niveau vocal et l’interprétation du texte. Il en est de même pour l’excellent baryton Johannes Weiser, une voix caressante, précise sur la consonne, chaque mot prend tout son sens et illustre le texte issu de la genèse avec une douceur et une virtuosité peut commune. Un léger manque de projection pour Topi Lehtipuu est parfois regrettable.

Chaque journée résonne différemment, les instruments anciens vibrent, vrombissent, donnent à voir la tempête, l’eau, les monstres marins, la neige, les créatures, l’émerveillement d’un monde où tout est encore possible. Les trois voix s’imbriquent, se fondent, enlacent l’orchestre et le chœur, la puissance du monde est en marche, la musique exaltante chante et avance toujours sous la direction profonde, fine et précise de Laurence Equilbey expressive et énergique.

Splendides levers du soleil et de la lune, tout est claire, chaque morceau du monde a un son,  vents suaves et cristallins, grondements des cuivres, cordes rondes, harmonieuses, pincées et frétillantes, trilles vocaux, intensité de la finale, trios décalés impressionnants, une prouesse majestueusement interprétée par l’ensemble de l’équipe. Les applaudissements ne se font pas attendre au moment de l’entracte.

La seconde partie nous entraine au cœur de l’amour d’Adam et Eve quand Dieu contemple son œuvre et se laisse aller au bonheur.

Un magnifique largo instrumental d’introduction laisse place à une danse vocale entre soliste et chœurs.

Le paroxysme de la beauté musicale semblait être atteint lors de la première partie mais ce passage entre Adam et Eve trouve encore des richesses d’interprétation et de musicalité extatique. Si la première partie élève et rendrait croyant le plus païen des spectateurs, Laurence Equilbey réussit avec ce passage grâce aux chanteurs et musiciens, à rendre amoureux le plus frileux des Humains.

Harmonies, douceur, le chœur fait voyager les notes, basses, ténors, altos, sopranes se répondent en un même mouvement solide.

Sandrine Piau et Johannes Weisser sont magnifiques, beaux, lumineux, leurs voix inondent de grâce la salle entière suspendue à leurs notes. La fraicheur du duo en forme d’Adagio chante à merveille le bonheur d’être ensemble et pourrait ne jamais avoir de fin.

Accentus et l’orchestre livre une fugue finale exemplaire, ponctuée par des vocalises enivrantes.

Les trois solistes rejoints par une chanteuse sortie du chœur achèvent cette œuvre grandiose par des Amens énergiques.

Une splendeur du début à la fin du concert, une harmonie élévatrice profonde et spirituelle comme on aimerait en voir régner plus souvent.

Cette interprétation de l’Oratorio mériterait une version scénique avec metteur en scène, plasticien, costumes et scène d’opéra et à n’en pas douter un enregistrement.

Un véritable triomphe, la salle applaudit, hurle, siffle, un très très long moment, l’humilité de l’équipe fait plaisir à voir, les chanteurs applaudissent de dos le chœur et l’orchestre, le sourire aux lèvres, la modestie de l’équipe est touchante après un tel moment de bravoure.

Laurence Equilbey le prouve depuis de nombreuse années, elle ne se limite pas à l’art vocal, brille à la direction d’orchestre, ouvre des fenêtres musicales et artistiques sur des univers multiples et fait couler un vent de modernité, d’excellence et d’humilité sur le milieu parfois guindé et prétentieux de la musique classique. Il serait d’ailleurs légitime de la voir dans les fosses des grandes maisons régulièrement et oublier qu’elle est une femme pour  juger son travail artistique et musical jusqu’ici sans erreur.

L’art exige l’excellence sinon rien, les spectateurs aiment la musique pour ce genre de moment hors du temps.

 

Visuels (c) Bérénice Clerc.

 

 

Même si tu m’aimes mis en scène par Julien Boisselier
Les fragments de vie de Carolyn Carlson au CNN de Roubaix
Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

One thought on “Triomphe de La Création pour les 20 ans d’Accentus”

Commentaire(s)

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration