Théâtre
Les Possédés, des doux dingues dans Bullet Park

Les Possédés, des doux dingues dans Bullet Park

25 November 2011 | PAR Christophe Candoni

Rodolphe Dana a choisi d’adapter au théâtre « Les Lumières de Bullet Park », le roman de John Cheever (1969) et dirige ses copains Les Possédés dans cette nouvelle création collective . Avec humour et dérision, ils prennent un certain plaisir à procéder à une démolition du rêve américain vanté par le capitalisme, la société de consommation et la petite morale étriquée de la middle class américaine des années 60 dont les membres de la Famille Nailles, protagonistes de l’intrigue, sont des prototypes savoureux. La pièce est présentée au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne.

La vie est supposée merveilleuse dans les quartiers résidentiels tout proprets de Bullet Park. Elle y est confortable et même aisée parce qu’on y possède quantité d’appareils ménagers, des frigos qui débordent de bouffe et que la pelouse est bien verte pour jouer au golf. C’est évidemment avec une ironie mordante que Julia Kravtsova a pensé le décor, parfaitement utilisé, un intérieur / extérieur totalement factice, suffisamment tape à l’œil et amusant. On pense au Pop art, à Andy Warhol, à la « Supermarket Lady » de Duane Hanson… c’est tout un univers qui est convoqué ici. Il donne le ton de la pièce qui mêle humour critique et plaisir moqueur (Ah! Le mari en petit short de sport, torse nu, avec ses chaussettes hautes qui rate la balustrade et fait ses étirements sportifs…), insolence et excentricité.

Un modèle apparemment inébranlable se délite lorsque le fiston, Tony, au bord de l’étouffement dans le carcan familial jusque là rassurant, pète un plomb et tombe dans une longue dépression ! Cet élément déclencheur met à mal l’harmonie familiale et sociale et renvoie en pleine face aux personnages les contradictions dont ils sont pétris. S’ils passent pour des imbéciles suffisants (et on rit d’eux sans réserve!), ils sont en fait à plaindre. Car ils apparaissent tout autant énervants dans leur tiédeur que pathétiques dans leur malheur, et ce grâce à l’interprétation des acteurs qui mettent l’accent sur le rire sans délaisser la gravité. Se développent des thèmes comme le désir refoulé à cause d’un fort sentiment de culpabilité à l’égard du sexe, la crise du couple qui trouve secours dans l’alcool, la crise de l’être, la raideur des conventions et la perte des repères liée au délitement d’un modèle illusoire.

Alors, il faut dire que c’est un peu long, qu’il y a des temps morts, que cela manque parfois de nuances et de complexité. Ce sont des détails, la pièce est réjouissante et les acteurs formidables. Citons Marie-Hélène Roig qui joue la mère : une « desperate housewife » plus vraie que nature, infiniment drôle sans céder à la caricature, lorsqu’elle raconte ses émois devant une pièce de théâtre contemporaine où jouait un comédien intégralement nu, Antoine Kahan dans le rôle du fils qui n’est pas qu’un simple crétin absorbé par l’écran de télévision, il est aussi touchant et son cri épris de liberté est salvateur.

photo © : Pierre Grosbois

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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