Théâtre

Laissez-nous le temps de vous détruire, une création politico-théâtrale au Théâtre du fil de l’eau les 19, 20 et 21 octobre

20 October 2011 | PAR Yaël Hirsch

Le Théâtre du fil de l’eau accueille ces jours-ci une création de la compagnie du dernier soir, mise en scène par Myriam Marzouki. Sur un texte de Emamnuelle Pireyre, “Laissez-nous le temps de vous détruire” est une réflexion comique sur le malheur individuel des années 2010, où l’on ne se pose plus de questions si ce n’est celle de ‘comment faire? “. L’excellent jeu (et chant) des comédiens et la qualité littéraire du texte sauvent le spectacle de sa pose intellectuelle. A (re)voir également du 7 au 25 mars 2012 à la Maison de la Poésie.

Après “Europeana, une brève histoire du XXe siècle”, “Laissez-nous le temps de vous détruire” part du constat qu’après la crise des subprimes et Fukushima, l’heure n’est plus au petit bonheur tranquille du vernis indigo et du barbecue. Tout part de la question de l’habitat avec un flash-back sur les pavillons griffés années 2000, leurs haies qui les séparent du reste du monde, et leurs étranges rituels industriels. Mais  au début des années 2010, plus de joie et tout s’est dématérialisé : les relations amoureuses (lol, mdr…) et en parallèle la finance. D’ailleurs, question habitat, le petit bourgeois a participé sans le savoir à la crise des subprimes en s’endettant pour s’acheter la baraque de ses rêves, les salauds! Sans transition, si ce n’est ce jugement, l’on passe à une  décennie misérable où plus personne ne cherche à comprendre pourquoi mais chacun se pose plutôt la question insipide de “comment faire? (pour créer des toilettes sèches chez soi, réparer la machine à café, déflorer une vierge frigide etc…) Suivant le fil vert de l’habitat, l’on opère alors une vraie plongée dans le courant écolo  contemporain : autant dire, direction l’enfer. Un  couple harassé a décidé de quitter Levallois et leur métier chez Alcatel pour travailler à plein temps à économiser l’énergie de leur maison à la campagne. Sur des forums internet, ils aident d’autres citoyens à faire leur bilan écologique et à diminuer les dépenses d’énergie. Responsable est donc le maître mot. Sauf pour les traders et les produits financiers qui reprennent bien quelques tirades très critiques et caustiques. Heureusement, quelques naïves se prennent encore pour Leni Riefenstahl et se réjouissent de rejouer “pour de faux” (pierres polies par l’office du tourisme) un film de montagne, avec chant kitsch en allemand. D’autres encore ont la candeur de raconter leur rêves avec les stars (Edith Piaf qui chie)… Reste la promesse de sktechs enfin sérieux sur les choses actuelles et graves qui scandent l’actualité (on attend  avec impatience celui sur la mort de Khadafi)…

Porté par une mise en scène totalement ingénieuse et d’excellents comédiens, talents du TNB (Théâtre National de Bretagne) et du CNSAD (Conservatoire national supérieur d’art dramatique), toujours justes dans le jeu, comme dans le chant, “Laissez-nous le temps de vous détruire” est un superbe spectacle. Certains verront la marque du grand Wajdi Mouawad dans les décors épurés, beaux, et qui laissent beaucoup de place à l’imagination du spectateur. De même, malheureusement pour le message politique, qui est scandé par des explications didactiques néo-brechtiennes et truffés de références philosophiques en allemand totalement snobinardes et souvent inutiles. La déconstruction a quarante ans, Alain Badiou plus de 70. Il serait peut-être temps, sinon de construire, du moins de proposer des alternatives, au lieu de sacrifier sur un même bucher plein de Schadenfreude (joie provoquée par le malheur d’autrui) écolos et banquiers dans des élans qui se veulent révolutionnaires de gauches, mais qui paraissent surtout et bien souvent populistes, avec un accessit d’intellectualisme. Heureusement la forme du texte d’Emmanuelle Pireyre reste vraiment superbe pour énoncer ces déshabillages hérissants. Et Nordey n’a pas encore tout à fait frappé, puisque les comédiens conservent ce langage sans en syncoper tous les mots. Une pièce d’avant garde et d’arrière-politique, à découvrir.

“LAISSEZ-NOUS JUSTE LE TEMPS DE VOUS DÉTRUIRE” Mise en scène Myriam MARZOUKI, Texte Emmanuelle PIREYRE avec Charline GRAND, Pierre-Félix GRAVIÈRE, Johanna KORTHALS ALTES et Stanislas STANIC.

photo : David Schaffer

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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