Danse
« Hop ! » : au Centquatre, fragments de théâtre et éclats de danse

« Hop ! » : au Centquatre, fragments de théâtre et éclats de danse

14 February 2023 | PAR Juliette Brunet

Dans le cadre du Festival Les Singulier.es, le Cenquatre a accueilli jusqu’au 11 février la création de la danseuse et chorégraphe Raphaëlle Delaunay et de l’acteur et metteur en scène Jacques Gamblin. Dans Hop !, leurs univers se mêlent au travers de la rencontre d’une femme et d’un homme. Leurs identités se multiplient au fil d’une mosaïque de scènes où se marient à merveille danse et parole.

Avec Hop !, la danseuse et chorégraphe Raphaëlle Delaunay et l’acteur et metteur en scène Jacques Gamblin poursuivent leur collaboration entamée en 2018 avec le court-métrage Via !. Projeté dans le cadre de l’édition 2022 du festival Séquence Danse au Centquatre, il s’agissait d’une commande du Grand Palais pour l’exposition autour de Michael Jackson. Si dans ce premier projet, elle était à la création et lui à la réalisation, ils se retrouvent cette fois-ci tous les deux au plateau. Intitulée Hop !, cette création induit dans son nom les idées de mouvement et de changement, de précipitation et de segmentation… Mais aussi l’intrication de la parole et de la danse, la façon dont les paroles et les gestes se guident et s’influencent mutuellement. Cette performance s’apparente à une brillante constellation de tableaux, conviant une mosaïque de registres et des identités multiples, mettant en scène un duo qui cherche son équilibre et son tempo au fil d’une rencontre.

Une dualité en équilibre entre dissemblance et embrassade

C’est l’histoire d’une professeure de danse et d’un jeune retraité de l’aéronautique. Elle cherche à transmettre, lui, à faire quelque chose de son temps et de son corps. Deux personnages qui semblent diamétralement opposés : elle en jogging, lui en tenue de ville et mocassins ; elle, dont l’habileté et la technique impressionnent, lui, gauche et raide comme un manche à balai. Suivant les codes d’un cours, avec un registre burlesque, la première scène donne à voir deux personnages dont la rencontre est aussi improbable que risible. Leur relation se construit, prenant les couleurs du sarcasme et de la moquerie, du combat et du jeu, du rejet et de l’étreinte. Ils s’opposent, se jaugent, se cherchent, se rejettent, s’influencent, s’attirent, se confient, montrant tout à la fois la fragilité et la complexité des liens qui unissent un couple.

Dans cet espace, dont on n’est plus si sûr qu’il soit bien une salle de danse, ils vont apprendre à se connaître, à s’apprécier, à s’aimer. Leur relation s’approfondit, à mesure que leurs façades s’effondrent, les personnages révélant leur intimité dans des seuls en scène, où chacun raconte ses obsessions et ses aspirations, ses névroses et ses désillusions, avec les mots ou avec le corps. À la première distance cordiale et sérieuse se succèdent des valses, des jeux d’enfants et des corps-à-corps d’animaux. Jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un seul corps lorsque la nuit tombe. Leur fusion se fait d’autant plus totale que l’obscurité s’épaissit.

Constellation de scènes : mosaïque de registres et multiplicités des identités

Cette création trouve sa source dans des improvisations que Raphaëlle Delaunay et Jacques Gamblin ont progressivement mises en forme et en narration. De ces compositions sans préparation reste la forme segmentée. Hop ! s’apparente à une succession de tableaux, où les registres se mélangent et les identités se dédoublent. Le spectacle est pour ainsi dire séquencé, si ce n’est fragmenté, et déroute le spectateur dans sa compréhension de la narration ainsi que dans les émotions ressenties. Les tableaux prennent tour à tour les formes de sketch et de numéro de clowns, de monologue intime et de chorégraphie bestiale, de danse de salon et d’étreinte érotique.

S’il n’y a que deux artistes sur scène, les personnages qu’ils incarnent n’épousent pas une identité unique, donnant une représentation de la rencontre dans ce qu’elle a d’universel. Si la première scène nous présente un jeune retraité de l’aéronautique et une professeure de danse (non sans burlesque), cette dualité n’est ni ancrée ni figée durant l’ensemble de la performance. Des ellipses espacent les séquences, comme des cours de danse hebdomadaires ; ou comme si c’était à chaque fois un couple différent ; ou comme s’il s’agissait de l’évolution d’une relation sur plusieurs années… Grâce à cette dynamique composite, Raphaëlle Delaunay et Jacques Gamblin entrelacent leur univers avec justesse, incarnant des personnages qui cherchent leur équilibre avec l’altérité.

Tridimensionnalité de l’espace : vide, lutte et partage

C’est dans un espace entièrement vide à l’exception d’une chaise, sorte de « white cube », composé de deux murs et d’un sol blanc que les personnages apparaissent. Sur ce plateau blanc et nu, la forme chorégraphique s’attache à questionner le vide, la prise de possession d’un espace, son partage et son occupation. Ce décor aussi épuré que froid, laisse un champ d’expression dont l’infinité est presque effrayante. D’emblée, la danseuse incite son élève à sentir l’espace, à se laisser pénétrer par lui, à écouter ses murmures et à faire corps à lui. Le troisième protagoniste de la pièce est ainsi montré du doigt bien qu’il soit invisible : l’espace.

Ce vide originaire sera le théâtre d’une lutte pour la possession de l’espace, des rapports d’autorités qui opposent et bousculent les deux protagonistes. Cette revendication du pouvoir passe tantôt par des prises de parole tantôt par des prises d’espace physique. Les personnages, de même que leurs interprètes, semblent premièrement se cantonner à leur domaine de prédilection : la danse pour elle, le verbe pour lui. Mais la recherche d’autorité devient peu à peu échange, le lieu fait l’objet d’un partage, où chacun trouve son équilibre par rapport à l’autre. Les modes d’expression se fondent, les personnages s’échangent leurs armes afin qu’elles deviennent des instruments de dialogues. L’espace n’est plus alors l’objet d’un règne sans partage, mais devient le cadre poétique et érotique de leur complicité et de leurs ébats.

Un dialogue entre paroles dansantes et chorégraphies lexicales

La rencontre entre ses deux personnages laisse voir, en filigrane, celle de la danse et du théâtre, des gestes et des mots. Si elle est d’abord un choc, une confrontation, elle devient un mélange savamment dosé, une hybridation tout en subtilité. Au contact de l’autre, les personnages incarnés par Jacques Gamblin vont prendre conscience du potentiel émotionnel et expressif de la danse. Quant à elle, elle s’aperçoit qu’elle a bien des choses à dire, mais que les mots lui manquent pour les exprimer. Elle lui apprend à se servir de son corps, et lui la guide avec des mots interrogeant ses sentiments.

A l’image des personnages, le théâtre et la danse apparaissent complémentaires : ce que les mots ne peuvent pas dire, le corps les exprime. Inversement, le verbe est parfois obligé de prendre le relais du geste. Ne faisant ni l’économie des mots, ni l’impasse sur la chorégraphie, les deux artistes mêlent leur univers au travers de cette rencontre aussi touchante que drôle. Tour à tour, Raphaëlle Delaunay est une ballerine classique tournant en dérision les mouvements gracieux, une réincarnation de Rudolf Noureev commandant à son élève de « danser avec les couilles », une danseuse révoltée exprimant toute sa puissance et sa bestialité. De bout en bout, elle est tout simplement exceptionnelle. Quant à Jacques Gamblin, il développe un personnage aux multiples facettes, l’exprimant avec tout autant de justesse dans des monologues intimes que dans des mouvements maîtrisés.

 

© Visuel – Affiche du spectacle Hop ! de Raphaëlle Delaunay et Jacques Gamblin

Agenda de la semaine du 13 février 2023
L’agenda classique et lyrique de la semaine du 14 février
Juliette Brunet

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