Théâtre
Arthur Nauzyciel met en scène la quête déterminée de Jan Karski témoin de la Shoah

Arthur Nauzyciel met en scène la quête déterminée de Jan Karski témoin de la Shoah

13 July 2011 | PAR Christophe Candoni

Le festival d’Avignon s’ouvrait il y a une semaine à l’Opéra-Théâtre sur une proposition forte et ambitieuse du metteur en scène Arthur Nauzyciel, celle de porter à la scène le roman de Yannick Haenel « Jan Karski ». « Jan Karski (mon nom est fiction) » est assurément bouleversant. Il se distingue par sa densité et son exigence, éprouve aussi par la durée étirée de sa représentation. Mais comment pourrait-il en être autrement dans la mesure où cette parole, nécessairement longue, douloureuse, itérative, se déploie pour conjurer la mort, raviver la mémoire et ramener les morts à la vie.

Jan Karski, fugitif et membre de la résistance polonaise, arrêté à plusieurs reprises, sort le 28 novembre 1942 du ghetto de Varsovie où il était entré clandestinement, et se fait en vain le témoin déterminé de l’extermination des juifs dans les camps. Il cherche une oreille attentive au sort de ses compatriotes et des condamnés de l’Europe entière mais se trouve confronté à l’incrédulité ou l’indifférence des politiques et de Roosevelt lui-même qu’il rencontre sortant de table repu et baillant aux corneilles. Personne n’a voulu l’entendre, n’a cru sa parole. C’est cela que raconte le roman de Haenel, polémique et dérangeant, entre fiction et documentaire. Il pose la question de la responsabilité des pays alliés qui bombardent l’Allemagne dans le but d’assurer la victoire, des chefs d’état pris au piège de leurs œillères et de l’endormissement des consciences. Il dénonce les mensonges que représentent les mots de paix, de liberté à la fin de la guerre.

Le spectacle que propose Arthur Nauzyciel suit rigoureusement la construction en trois parties du roman. Sa mise en scène peut rebuter par certains choix esthétiques notamment dans le traitement de la deuxième partie donnée sous une forme éprouvante qui met le spectateur face à un large écran vidéo sur lequel défile une cartographie brouillée du ghetto tandis que le texte est restitué par la voix égarée en off de Marthe Keller. Hormis ce long passage, Nauzyciel porte une grande attention à la réception du propos difficile et qu’il ne veut pas trop brutal. Il assure lui-même la narration au début de la pièce qui reprend le moment où, devant la caméra de Claude Lanzman, Karski rompt 35 ans de silence. Puis, deux ponctuations apparaissent, surprenantes et émouvantes : un numéro de claquettes, et une fin dansée par Alexandra Gilbet, à la fois secouée et subtile. Ces scènes ménagent un répit, une respiration, une souplesse bienvenues dans le récit.

Enfin, Laurent Poitrenaux incarne Jan Karski. Il est exceptionnel. On est immédiatement saisi d’une émotion qui ne nous quitte plus devant une telle intensité de jeu. Seul sur le plateau, isolé et prostré sur une banquette, presqu’immobile, dans le somptueux décor du foyer classieux de l’Opéra de Varsovie, tout de marbre vert, de cristal et de moquette ocre. De la salle de spectacle qu’on ne voit pas, on entend Les Pêcheurs de perles de Bizet, « Je crois entendre encore… » chante le ténor dont l’air fait écho à la mémoire en marche, à la réminiscence perpétuelle du souvenir de Karski, catholique pratiquant qui déclare en 1981 « je suis devenu juif ». Il apparaît fatigué, intranquille pour toujours, hanté des voix, des cris, des fantômes de Varsovie. Le corps étrange, la silhouette figée, un peu étriquée dans son costume marron, le comédien demeure sobre, jamais volontaire. Son intelligence, sa sensibilité forcent l’admiration. Excellemment dirigé, il donne à voir la douloureuse et profonde solitude de l’homme, l’abandon et l’absence.

 

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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