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Théo Cholbi : “En 2022, c’est gravissime de pas être féministe”

Théo Cholbi : “En 2022, c’est gravissime de pas être féministe”

25 May 2022 | PAR Yaël Hirsch

Alors que nous sortions très marqués par son personnage du lieutenant Pascal dans Les Harkis de Philippe Faucon, l’hyper talentueux Théo Cholbi, comédien et chanteur du groupe Süeür s’apprêtait à monter les marches pour la première fois pour La Nuit de 12 de Dominik Moll. Nous l’avons interviewé sur la terrasse UGC et avons gardé de ce vif entretien la conviction que Théo Cholbi est un homme à suivre…

Quel effet cela fait-il d’être à Cannes et de monter les marches pour la première fois ? 

Je suis très fier et j’essaie de relâcher la pression. J’avais découvert le film hier de Philippe Faucon, Harkis. Et ce soir je vais voir La Nuit du 12 être avec toute l’équipe. C’est aussi un peu un retour dix ans après, car il y a dix ans, je devais présenter un court-métrage à la semaine de la critique, mais j’étais retenu en tournage. Du coup, j’avais tout suivi depuis les réseaux sociaux pendant que l’équipe présentait le film. Je suis donc peut-être doublement heureux d’être enfin là ! 

Parlez nous du lieutenant Pascal dans Les Harkis… 

C’est mon premier rôle d’homme, d’homme. C’est un personnage plein de responsabilités, mais qui a quand même l’empathie d’un jeune. Sinon l’homme ne désobéirait peut-être pas au gouvernement. 

C’est aussi un militaire des années 50. Comment vous êtes-vous relié à cet aspect-là ?  

L’uniforme, déjà, aide à se tenir raide. Moi qui suis musicien également, parfois je suis un peu nonchalant et animal, je bouge un peu tout le temps, parfois un peu trop pour un plateau de cinéma. Là, c’est tout l’inverse, il a fallu garder une assise et être dressé, droit comme un I et l’uniforme aide. 

Le film traite d’une situation historique qui est encore douloureuse aujourd’hui. Comment est-ce que vous avez travaillé là-dessus ? 

En fait, ma maman est algérienne, même si elle n’a jamais voulu y retourner. Elle n’aime pas parler de son enfance en Algérie, et tout ça… elle est quand même restée une quinzaine d’années là-bas. Comme elle n’aime pas parler de là-bas, il a fallu que je cherche le secret par rapport à ce pays de mon côté. Avant le casting, j’ai regardé beaucoup de documentaires. Et j’ai lu L’art de perdre, parce qu’il y a un mot qui revient souvent quand on parle des harkis, c’est qu’ils ont tous eu l’expérience de la perte. 

Le film parle aussi d’une trahison qui met leur vie en danger. 

Oui, il y a une trahison de l’État français. Et pour certains jeunes d’aujourd’hui, cela éclaire certaines choses sur ce passé.  Quand on parle de “harkis”, notamment dans les textes de rap, c’est souvent synonyme de “traître”. Booba, que j’aime beaucoup, chante : “Si t’es harki c’est toi l’ennemi”. Très vite, en cité, on peut le dire pour un traître comme le mot “chméta”. J’espère que le film permettra de corriger les raccourcis. 

Comment Philippe Faucon dirige-t-il ses acteurs ? 

Il n’aime pas tout ce qui est joué. L’acteur n’est pas décisionnaire dans son cinéma. Il nous demande de gommer tous les artifices de langage et d’intonation d’acteur. Il veut que nous ayons un ton le plus naturel possible. Et cela prend bien une semaine ou deux pour s’acclimater. Parfois nous avons l’impression de ne pas jouer et c’est vraiment ce qui l’anime. Il y a là un conflit d’intentions intéressant qui débouche sur une pureté de jeu, je crois. 

Comment était le tournage du film de Dominik Moll ?

C’est le réalisateur le plus fédérateur entre les comédiens que j’ai connu. Il est toujours de très bonne humeur, avec un travail de précision par rapport à l’enquête et au mystère. Il sait créer un climat fantastique, un peu comme dans Twin Peaks. C’est aux antipodes du naturalisme de  Philippe Faucon. 

Vous travaillez avec de réalisateurs de cinéma très indépendants. Est-ce un choix de votre part ? 

Quand j’ai commencé le cinéma, je me sentais très anti-TF1, anti-M6. Je n’aimais pas le cinéma qui est fait pour faire de l’argent et j’avais très très peur de la télé. Et quand j’en ai fait, j’ai fait confiance à Arte, et à certains unitaires de France TV.  Mais quand c’est réalisé vite, écrit vite et si le dialogue ne prime pas, je déprime. Je ne suis pas aussi radical qu’Adèle Haenel en ce moment, mais je partage complètement son point de vue. 

Vous avez une formation aussi de musicien, comment cela joue-t-il sur votre jeu et vice-versa? 

J’ai commencé par le piano, je suis arrivé à Paris en continuant la batterie. Mon grand frère, Damien Saez, est chanteur et j’ai commencé dans le cinéma parce que je n’ai pas voulu moi aussi prendre le micro, même si on me le conseillait pendant un temps. J’écrivais quand même et puis dans un moment sans cinéma, mes musiciens m’ont dit “chante quand même pour voir, dis tes textes au micro”. Cela est arrivé très vite avec Rock en Seine. Puis, il y a eu  la période de Covid et donc plus de scène. Et j’ai signé chez RCA, qui est un super label, grâce à ce que je dégage sur scène. On prévoit un concert et la sortie d’album le 7 octobre normalement. La batterie donne un rythme à mon corps, ce qui m’a servi énormément au cinéma. En musique je commence toujours par le texte et après je rappe mon texte sur différents styles de musique, jusqu’à trouver le bon flow et là je compose tout avec des musiciens. Et dans le cinéma ce que j’aime c’est vivre d’autres vies que la mienne. C’est cela qui me permet d’écrire mes textes pour la musique

Pour votre dernier clip, “Faille” vous êtes passé vous-mêmes derrière la caméra… 

Oui, je crois que mes clips sont des courts-métrages non assumés. A chaque fois je mets beaucoup de narration. Je voulais tourner avec Noée Abita que je connaissais d’amis. Pour le rôle, elle est parfaite, en plus elle attendait son enfant pendant le tournage. Mais hors de la musique, il faudrait peut-être que j’assume de tourner mon premier court-métrage.  

En regardant ce clip, en réalisant que vous avez travaillé majoritairement avec des réalisatrices et en écoutant vos textes, une question est venue : êtes-vous féministe ? 

Ce serait gravissime en 2022 de pas être féministe. Je trouve cela fou qu’on se pose encore la question. Et en même temps, la question est difficile parce que c’est un travail à caution de certains hommes. J’aimerais notamment qu’il y ait plus de femmes qui fassent de la musique et soient sur scène. Et oui, effectivement, je pense que 70% des réalisateurs avec qui j’ai travaillé sont des femmes. Sans l’avoir décidé consciemment, j’ai peu travaillé avec des hommes. 

(c) Sylvain Lefèvre 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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