Théâtre

Les forces contraires à la Loge Théâtre

16 June 2011 | PAR Yaël Hirsch

Sur un texte et une mise en scène  de Morgane Lory, la cie Le Don des Nues propose jusqu’au 30 juin un spectacle tout à fait original, posant toutes les questions existentielles avec le corps et souvent à rebrousse-poil : l’intime devient alors ombre mécanique et la vie d’entreprise une vraie “question humaine”…

Les Forces contraires propose au spectateurs trois scènes parfaitement égales en longueur : Le Bouquet, Un Dîner et le Guet. Le premier acte est un portrait d’un trentenaire marié, d’origine autrichienne et thésard. Les questions qu’une de ses amies se pose sur lui avec humour sont dites principalement en voix “off” tandis que les 3 comédiens de la pièce illustrent les mots en évoluant dans la pénombre. Plus l’on quitte l’ambiance ” à la Desplechins” de l’amant névrosé et intellectuel pour s’enfoncer dans l’angoisse touffue de “forces contraires”, et plus les visages disparaissent dans la lumière soit trop crue, soit quasi inexistante. Et plus les corps bougent brusquement… La musique est contemporaine, aussi angoissante qu’un dernier battement cœur. Acte 2. “Un Diner” réunit les trois comédiennes sur un jazz trop entraînant pour être honnête. Leurs préoccupations sont assez proches de celles de l’autrichien-thésard : trouver un travail et un mec. Mais, au fur et à mesure que la scène progresse, la conversation de filles se transforme en juxtaposition de performances sans dialogue, où les jeunes femmes toutes sages et apprêtées mettent en cause les racines mêmes de notre société. Après avoir transformé la table simple de dîner de nanas en table de conférence d’une grosse boîte, les 6 comédiens entrent finalement en scène pour l’Acte 3.

Avec “Le Guet”, l’on passe carrément dans l’impersonnel de la vie du comité d’une très grande entreprise. Les comédiens se répartissent les rôles devant nous et tentent en tant que syndics, patrons ou experts, de montrer combien ce genre de réunions sont codées et des “pièces de théâtre où chacun joue son rôle”, en déconstruisant principalement le vocabulaire. Encore une fois, quand on approche de questionnements intimes et qu’ils interrogent la vie d’entreprise depuis la source des “forces contraires”, les mots passent derrière les corps. Ceux-ci, remontés comme des automates, se départissent des derniers oripeaux de leur humanités pour revenir une question centrale mais galvaudée par le jargon : au cœur de l’homme et de la femme, la valeur-travail.

Allant du plus abstrait au plus concret, du plus intime au plus codé, “Les forces contraires ” a la grande originalité de proposer un texte drôle et intelligent pour mieux relativiser l’usage du langage. Tout le spectacle, ce sont les corps des 6 excellents comédiens et les rictus de leurs visages qui parlent. Sous-exposés par l’éclairage, ou surexposés par la répétition des gestes, ce sont ces corps en mouvements qui cousent le fil rouge reliant les tris scène disparates jusqu’à l’absurde. Ce fil rouge est un ensemble de questions, que sous l’impression physique du spectacle, celui qui vient d’y assister continue de se poser en sortant.

Cérébral, atypique, et servi par une troupe extraordinaire, “Les forces contraires” est un excellent spectacle qui n’est cependant peut-être pas fait pour plaire à tous et plaira principalement aux amateurs de beaux textes, aux trentenaires névrosés qui se reconnaîtront dans les personnages, aux ex, anciens, et présents marxistes qui aimeront l’ironie sur l’entreprise et enfin à tous les fans de performance et de surprise qui vont au théâtre pour y être, en tant que public, actifs!

Les forces contraires, Texte et mise en scène : Morgane Lory, Scénographie : Ophélie Bignon, Création lumière : Nicolas Ameil, Création sonore : Matthieu Canaguier. Avec Julien Crépin, Jade Lohé, Morgane Lory, Serge Ryschenkow, Nadège Sellier et Geoffroy Vernin. Durée : 1h30.

A noter : La cie Le Don des Nues présentera un autre texte de Morgane Lory, “Fragments d’un temps révolu” à l’espace Saint- Martial d’Avignon, lors du festival cet été, du 9 au 30 juillet.

 

photo : Marcella Barbieri

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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