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Odilon Redon : Le triomphe du Prince du rêve au Grand Palais

Odilon Redon : Le triomphe du Prince du rêve au Grand Palais

22 March 2011 | PAR Yaël Hirsch

Du 23 mars 2011 au 20 juin 2011, le Grand Palais expose une immense rétrospective du peintre et dessinateur pré-symboliste Odilon Redon. Il n’y avait plus eu d’évènement Redon d’une telle envergure en France depuis l’exposition de l’Orangerie en 1956. Avec le concours de la Bibliothèque Nationale, du Grand Palais, et de prêts de nombreux musées étrangers, plus de 180 peintures, pastels, fusains et dessin de celui que le critique d’art Thadée Natanson appelait le “Prince du rêve” sont donnés à voir. Malgré les lumières tamisées obligatoires pour protéger les fragiles œuvres de Redon, aucun détail de la richesse de cette exposition majestueuse n’échappe au visiteur attentif, grâce à la scénographie sobre et calculée d’Hubert Le Gall.

“Mr Redon a dû, en effet, recourir aux anciens concepts, marier l’horreur du visage de l’homme aux hideurs enroulées des chenilles, pour créer à nouveau le monstre”.

Joris-Karl Huysmans, 1889.

Odilon Redon lui-même était rétif à livrer les clés de son œuvres : “Je voudrais vous convaincre que tout ne sera qu’un peu de liquide noir huileux, transmis par le corps gras et la pierre, sur un papier blanc, à seule fin de produire chez le spectateur une attirance diffuse et dominatrice dans le monde de l’indéterminé”, confie l’artiste au critique André Mallerio. Même si le commissaire de l’exposition, Rodolphe Rapetti, suggère que le poids de la conscience historique pèse sur l’art de celui qui est arrivé après les romantiques (Delacroix), un peu en avance sur les impressionnistes (avec il expose en 1886) et bien trop en amont des symbolistes qui l’ont reconnu comme un précurseur, la grande force de la rétrospective Redon au Grand Palais est de ne pas chercher à percer le mystère de l’artiste. Les œuvres  se suivent de manière chronologique et sont encadrées d’informations biographiques bien sélectionnées. En revanche, les séries de “Noirs” (Lithographies et fusains que Redon réalisait l’été dans sa propriété familiale et girondine de Peyrelebade) sont parfaitement reconstituées et des fusains que l’on connaissait bien – mais isolés – sont remis dans le contexte où l’artiste les a rêvés.

Aussi émerveillés que l’écrivain Joris-Karl Huysmans (qui a fait de Redon un des artistes d’exception sélectionnés par son dandy Des Esseintes dans “A Rebours” (1884) ), on découvre  dans des salles spacieuses la première série de lithographies “Dans le Rêve” (1879), puis le dérangeant “A Edgar Poe” (1882) où les titres sous les lithographies semblent former une sorte de poème en prose. La série “Les origines” vient sonder la géhenne : tout l’univers de sphères décapitées et de monstres désolées de Redon est déjà présent dans ces huit planches. Autour, quelques toiles montrent à quel point Redon n’a jamais mis de côté la peinture malgré le succès de ses “Noirs” . Enfin, de grands dessins et pastels contemporains venus des plus grands musées (MOMA, Petit Palais, Orsay, mais aussi, le Kröller-Müller d’Otterlo des Pays-Bas) montrent les influences de Redon.

Au centre de ce premier étage majestueux, un petit cabinet aux couleurs bleues précieuses met en avant les lithographies. Il permet de faire un point sur la technique pointue que Redon a travaillé avec ses imprimeurs et sur son goût pour le papier report qui lui permettait de dessiner librement d’après son inspiration pour retravailler ces dessins sous forme de lithographie. Grâce à la collection des livres rares de la BNF, on peut voir certains frontispices de livres de Verhaeren ou de Jules Destrées. La série ” La Nuit” (1886) est dédiée au mystérieux Rodolphe Bresdin, imprimeur bordelais et maître de Redon dans sa jeunesse. Tandis-que la série “Hommage à Goya” (1885) (où l’on cherchera en vain une influence de l’art du peintre espagnol sur Redon) permet de remettre dans son contexte la fameuse  planche “Fleur de marécage”. L’épilogue de cette série nous prépare un peu à la sortie de l’exposition et son titre  pourrait bien résumer à lui seul la mélancolie de Redon “Au réveil, j’aperçois la déesse de L’INTELLIGIBLE, au profil,sévère et dur.”

La deuxième partie montre encore plusieurs séries “noires”, dont deux inspirées par Flaubert et notamment sa “Tentation de Saint-Antoine (1888), avant de marquer le passage à la couleur de Redon à l’aube des années 1890 avec “Les yeux clos” dont la lithographie et l’huile sur toile sont présentées. Après une dernière série de “noirs” dans “Songes” (1891) qui répond au suicide de son ami le botaniste Armand Clavaud, Redon passe décidément à la couleur et ne reviendra plus en arrière. La dernière salle de l’étage expose les grandes toiles et les grands pastels mythologiques, que l’on connaît bien, notamment à travers “Le Bouddha” (1905) du Musée  d’Orsay. Cette section suggère qu’entre 1900 et 1905, Redon a également connu un période rouge pour symboliser Eve (1904), le Buisson (ardent) (1900-1905), ou Pégase (1907).

 

 

Après avoir descendu l’escalier, le visiteur découvre deux nouveaux aspects de Redon : sa fascination pour les fleurs à travers une grande série de peintures de vases assez classiques (1912-1916), puis son intérêt pour les Arts décoratifs, à travers ses cartons de tapis (Redon a collaboré avec les Gobelins), ses paravents, ses motifs pour fauteuils et chaises.  Surtout, pour la première fois, le grand décor mural commandé par le mécène Robert Domecy pour son château (dans l’Yonne)  est exposé dans sa disposition et ses dimensions originales. Avec les décors de l’Abbaye de Fontfroide (non exposé ici), cette œuvre de Redon fait partie des grandes créations méconnues de l’artiste. Et l’exposition se termine sur d’immenses toiles colorées, mythologiques et bibliques, qui font écho à celles qui fermaient le premier étage.

 

Une exposition extraordinaire, à voir absolument  avant le 20 juin prochain.

Visuels :
Home : “La cellule d’or”, 1892-1893, copyright The british museum, Londres. Dist. Rmn-Grand Palais / Stéphane Méréchalle
1) A Edgar Poe, Planche III : Un masque sonne le glas funèbre, copyright, bnf
2) Christ, 1887, Paris, copyright, bnf
3) A Gustave Flaubert, 1889, Planche III. La mort : Mon ironie dépasse toutes les autres
4) Yeux clos, 1890, copyright, Huile sur toile marouflée sur craton, Musée d’Orsay, copyright service de presse Rmn/Grand Palais/ Hervé Lewandowski
5) Le panneau rouge, 1905, Huile et détrempe sur toile, copyright François Doury

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

4 thoughts on “Odilon Redon : Le triomphe du Prince du rêve au Grand Palais”

Commentaire(s)

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    Superbe expo, les noirs y sont si lumineux. Univers à la Tim Burton un peu fou.
    Allez y!

    May 8, 2011 at 16 h 38 min

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