Théâtre

Ithaque aux Amandiers, Ulysse rentre au pays sous les traits de Charles Berling

14 January 2011 | PAR Christophe Candoni

Avec Ithaque, Jean-Louis Martinelli met en scène plus de trois heures de spectacle et il n’en faut pas moins pour être à la hauteur du mythe dans lequel la pièce de Botho Strauss trouve sa source. Prolongeant la longue tradition littéraire de réécritures et d’adaptations des mythes, le dramaturge allemand signait en 1996 sa version contemporaine des Chants du retour de l’Odyssée d’Homère. Le directeur du théâtre des Amandiers à Nanterre, nullement intimidé par la densité d’un récit fondateur et bien ancré dans la mémoire collective, s’y attaque. Il monte un spectacle copieux, un travail proche du texte qui manque d’une vision forte et unitaire. Il trouve en Charles Berling et Ronit Elkabetz, à la tête d’une distribution d’une vingtaine d’acteurs, un duo magnifique.

A grandes enjambées dans une mare d’eau qui recouvre l’ensemble de l’avant-scène, Charles Berling traverse le plateau, les cheveux longs, les pieds nus, l’air usé d’un homme rompu sous le poids des lourds bagages qu’il porte mais surtout des dix années de guerre à Troie auxquelles s’ajoutent encore un long voyage de dix ans pour rentrer à Ithaque, son pays. Enfin arrivé, il s’écroule comme une masse dans la flaque au pied d’un large escalier, symbole d’un pouvoir à reconquérir pour atteindre à nouveau le cœur de Pénélope qui l’attend, esseulée et couchée en haut des marches dans un grand lit blanc. Tout le monde le croit mort, son palais est assiégé par les prétendants.

La belle scénographie de Gilles Taschet est hautement signifiante et offre de nombreuses possibilités de jeu et de découpage d’espaces. Magnifiquement éclairée par les lumières de Jean-Marc Skatchko, la scène est ouverte et bien vaste mais parvient malgré tout à privilégier une certaine intimité lors de quelques belles scènes : la reconnaissance d’Ulysse par la nourrice (touchante Sylvie Milhaud), ses retrouvailles avec Eumée juste autour d’une table où le voyageur se jette sur la pitance, puis celle avec son fils, c’est dans ces moments que le spectacle fonctionne le mieux. Sinon, il est desservi par un trop plein d’effets spectaculaires souvent gratuits, ainsi que la musique et la vidéo dont l’utilisation est lourdement pléonastique. L’esthétique choisie est un savant mélange de l’antiquité et de l’époque actuelle, l’armure dorée et le casque à plumet côtoient avec finesse les tee-shirts et les jeans. Elle cherche aussi à exposer le caractère protéiforme des personnages dissimulateurs qui changent de silhouettes ou de têtes en permanence, c’est bien trouvé. Mais ça se gâte quand l’imagerie « superproduction » ou BD s’invite sur le plateau, pour figurer par exemple Athéna (Grétel Delattre, bonne actrice) prenant des poses incongrues, suspendue dans les airs, la voix amplifiée. Et que penser de l’arbre vert à la fin, d’un kitch !


Par contre, Martinelli paraît bien sage dans la caractérisation des prétendants : des jeunes gens aux accents mélangés, un peu potaches, ingouvernables comme des adolescents mais finalement gentillets qui font la fête avec plus ou moins de goût, c’est tout. De l’orgie, du chaos qu’est devenue cette société renversée, on ne voit pas grand-chose. Le metteur en scène a clairement manqué d’imagination tout comme pour le chœur féminin formé par trois actrices raides comme des piquets qui n’ont pas l’air d’avoir été dirigées. En revanche, sa vision du couple central de la pièce est très bonne, à la fois sobre et incandescente. Il a réuni deux acteurs immenses et profonds. Ronit Elkabetz, que nous ne connaissions pas au théâtre, est impressionnante de par la force de son jeu, son autorité en scène. Elle campe une Pénélope étonnante, magnifiquement sombre et musicale. L’attente l’a rendue dépressive et énorme mais elle paraît toujours digne. L’actrice montre la souffrance du personnage sans se priver d’apporter de l’humour. Et puis, Charles Berling est un Ulysse physique, entier, sensible, lumineux. La progression dans le rôle est très nette, d’abord fatigué et vulnérable, il reprend sa place pour un massacre final tout en tension et en force. L’acteur passe de l’humiliation du début à une rage inouïe et maîtrisée. Jean-Marie Winling et Xavier Boiffier sont également remarquables et surtout Clément Clavel dans Télémaque qui porte en lui une grande violence et une fragilité juste.

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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